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j’exhibe mes cailloux, mais ces spécimens géologiques du continent antarctique n’éveillent aucun intérêt chez mes compagnons. Dieu me pardonne, j’entends même grommeler d’un ton méprisant : « Des pierres, il y en à de trop en Norvège. »

UN DE NOS CAMPS SUR LA BARRIÈRE.

17 novembre. — Aujourd’hui, nous commençons l’assaut des montagnes qui défendent l’approche du Pôle. Pour parer à toute éventualité, je laisse au dépôt une note indiquant l’itinéraire que nous nous proposons de suivre, et les ressources dont nous disposons. Le temps est superbe et la piste excellente. Les chiens surpassent notre attente en enlevant avec aisance les pentes assez raides du début. Aucun obstacle ne pourra, semble-t-il, les arrêter. En très peu de temps, les attelages parviennent au point que nous avons atteint hier, et qui semblait devoir être le terme de la première étape. Sur les petits glaciers escarpés, situés plus haut, à plusieurs reprises il devient nécessaire de doubler les équipes et de faire avancer les traîneaux deux par deux. Ces glaciers paraissent très vieux et dépourvus de toute activité. On n’y observe aucune crevasse de formation récente ; celles qui déchirent leur surface ont les bords arrondis et sont presque remplies de neige. Pour éviter à la descente de culbuter dans ces trous, nous élevons des cairns ; en passant entre ces pyramides, on est sûr de trouver un terrain solide. Le soleil est si vif et la chaleur si forte que nous marchons en bras de chemise.

Dans la journée, nous passons au pied de sommets de 900 à 2 100 mètres. La neige qui couvre une de ces cimes a une couleur rouge foncé. Cette première étape dans la montagne nous amène à l’altitude de 600 mètres, après un parcours de 18 kil. 5. Le camp est établi sur une petite nappe de glace, entre de larges crevasses. Une fois la tente dressée, deux reconnaissances partent examiner le terrain en avant. Wisting et Hansen remontent le glacier, lequel s’élève rapidement jusqu’à 1 200 mètres, et disparaît ensuite dans le sud-ouest entre deux crêtes. Bjaaland part dans une autre direction trouvant sans doute la route prise par les autres trop facile, il s’attaque à un escarpement rocheux. Pendant ce temps, Hassel et moi nous vaquons aux occupations du ménage. Bientôt Bjaaland est de retour ; il affirme avoir rencontré de l’autre côté une excellente route pour la descente. Si elle est aussi belle que celle qu’il a prise pour monter, cela donne à réfléchir. Un peu plus tard arrivent les autres ; naturellement leurs renseignements ne concordent pas avec ceux de Bjaaland ; chaque groupe vante son itinéraire et déprécie celui découvert par l’autre. Sur un point malheureusement, tous sont d’accord, c’est qu’après cette ascension nous serons obligés de redescendre sur un énorme glacier qui s’étend au-dessous du campement dans la direction est-ouest. La discussion menaçant de se prolonger, je vais me coucher.