Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 19.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attelages halent allègrement leurs charges ; mais, à la longue, ils se fatigueront. Il est donc préférable de les alléger le plus tôt possible.

6 novembre. — À huit heures du matin, départ. Maintenant, c’est l’inconnu. La Barrière présente toujours le même aspect de plaine infinie, et la même piste excellente. À la première pyramide que nous élevons au delà du 82°, nous sacrifions une chienne. Nous éprouvons un véritable chagrin à nous séparer de cette excellente bête, mais nécessité fait loi. Ses trois amoureux se lamentent éperdument lorsqu’ils passent devant le cairn où repose leur bien-aimée ; ils paraissent éprouver une peine infinie à l’abandonner ; qu’importe, le devoir les appelle, et le fouet est là s’ils l’oublient.

UNE CIME DES ALPES ANTARCTIQUES.

Désormais, les étapes seront de 37 kilomètres ; nous couvrirons ainsi un degré de latitude en trois jours, et le quatrième nous nous reposerons. Les chiens accomplissent des merveilles ; ils sont arrivés au suprême degré d’entraînement ; avec la plus grande facilité, ils couvrent les étapes à la vitesse de 7 kil. 5 à l’heure. Quant à nous, nul besoin de forcer le pas : montés sur nos skis, nous nous faisons traîner.

Ce soir, nouveau sacrifice. C’est au tour d’Else, la dernière chienne de la meute. Elle était un des plus beaux échantillons de l’attelage d’Hassel, mais aucune considération ne saurait nous arrêter. Dans ces derniers temps, elle a lourdement péché ; par le châtiment suprême elle va payer tous ses écarts de conduite. Son corps est placé au sommet d’un cairn.

Du camp établi sous le 82° 20′ à l’horizon, s’observent dans le sud-ouest de gros nuages blanchâtres, comme on en voit généralement au-dessus des terres. Ce soir, nous ne parvenons à distinguer aucune montagne. Par contre, le lendemain, au réveil, dans le clair soleil du matin, la terre est visible à la jumelle, c’est le relief qui s’étend dans le sud-est au delà du glacier Beardmore dont nous sommes éloignés de 400 kilomètres environ dans l’ouest. Nous continuons à faire route dans le sud du monde. Le 7 au soir, l’estime nous place par 83° de latitude ; une observation faite le lendemain donne : 83° 1′.

Le dépôt laissé en ce point renferme des vivres pour cinq hommes et douze chiens pendant quatre jours. Ils sont enfermés dans un cube de 2 mètres de haut, composé de solides blocs de neige et que surmonte un large pavillon. Trois de nos coureurs ont déserté et repris la route du Nord. Ce sont les amoureux de la chienne abattue la veille ; ils ont sans doute voulu revoir leur bien-aimée. La disparition de ces trois bêtes de premier ordre est une lourde peine pour la caravane, surtout pour l’attelage de Bjaaland, dont ils faisaient partie. Hansen prête un de ses chiens à son camarade. Avec ce renfort, le traîneau peut suivre.

10 novembre. — La chaîne de montagnes en vue s’étend jusque dans le sud-sud-ouest du monde. Nous sommes maintenant beaucoup plus près de la terre, et chaque jour ses détails deviennent plus apparents. Plusieurs de ses saillies atteignent certainement l’altitude de 4 500 mètres. Ce qui nous frappe surtout, c’est la faiblesse relative de la glaciation dans ce relief. Nombre de montagnes présentent des escarpements rocheux dépouillés de neige. Nous nous serions attendus à trouver ce massif beaucoup plus englacé. Ainsi la chaîne Fridtjof Nansen apparaît d’un bleu foncé ; seul son sommet est couronné d’une épaisse coupole de glace qui l’élève à 4 500 mètres. Plus au sud, la chaîne Don Pedro Christophersen est plus enneigée ; sa longue arête culminante est toutefois en grande partie dépouillée d’un revêtement blanc. Encore plus au sud se montrent les pics Alice Wedel Jarlsberg, Alice Gade et Ruth Gade, tous couverts de neige de la base au sommet. Jamais je n’ai vu un aussi magnifique panorama. D’ici on distingue de nombreuses brèches par lesquelles il sera possible d’escalader cette chaîne. S’il n’était situé trop au nord, le glacier Liv offrirait très certainement une excellente route d’ascension ; il serait intéressant d’explorer cette région. La chaîne du prince Olav est moins engageante ; elle aussi, se trouve trop au