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de 9 000 blocs qui furent découpés dans la neige à l’aide de grands couteaux. Chacun de ces amers renfermait un « document » indiquant le numéro d’ordre du cairn, sa position, la distance par rapport à la pyramide suivante située au nord, et la direction dans laquelle se trouvait cette pyramide. Peut-être ma prudence paraîtra-t-elle exagérée ! À mon avis, dans ces immensités uniformes, aucune précaution n’est superflue. Si on perdait la route au milieu de ce désert toujours pareil d’horizon en horizon, la retrouver serait très difficile. En outre, la construction de ces cairns nous procurait divers avantages précieux. Ainsi, chaque halte nécessitée par l’érection d’un de ces repères était pour les chiens un repos utile. Le premier fut construit par 80° 23′ de latitude sud. Au delà, nous nous contentâmes d’en placer tous les 13 ou 15 kilomètres.

Le 20, pour la première fois, nous tuons un chien, une bête de l’attelage de Hansen, trop vieille pour suivre. Son corps est placé sur un cairn ; au retour, il pourra servir à la meute. Le même jour, nous parvenons à un second point important de l’itinéraire, le dépôt placé sous le 81° de latitude. Notre course passait un peu à l’est de ce point. Après avoir traversé deux crevasses assez grandes, fort heureusement remplies, nous arrivons au dépôt à deux heures de l’après-midi. Tout est en ordre parfait. Le pavillon flotte au-dessus ; difficilement on eût pu s’apercevoir qu’il était là depuis huit mois.

Le lendemain, temps magnifique ; pas un souffle de vent, et un soleil radieux. Les sacs de couchage sont mis au sec pour les débarrasser du givre collé au fond. Nous profitons en outre de ce temps clair pour déterminer la position du dépôt et vérifier les boussoles. Les provisions consommées en cours de route sont ensuite remplacées.

LA CONSTRUCTION DU DÉPÔT AU 83° DE LATITUDE.

31 octobre. — Brume épaisse. Après le magnifique soleil d’hier, l’impression est particulièrement pénible et désagréable. Une neige pulvérulente rend la marche laborieuse. Parfois, une étroite crevasse, mais cela ne vaut pas la peine d’en parler. Jusqu’au vingt-deuxième kilomètre, pas le moindre incident ; un peu plus loin, il s’en produit un très grave. En traversant une crevasse, Hansen engage la pointe de ses skis dans les harnais de ses chiens et roule dans le trou ; il a la chance d’être arrêté dans sa chute par une saillie de glace. L’attelage, s’apercevant de l’absence du maître, profite immédiatement de l’occasion pour se livrer à une bataille rangée. Le traîneau, n’étant plus retenu, commence alors à glisser en arrière ; que le combat dure encore quelques instants, et tout disparaîtra dans le gouffre. Aussitôt, l’un de nous saute la crevasse et arrive juste à temps pour sauver le traîneau de l’engloutissement, tandis que Wisting lance une ligne à Hansen et réussit à le repêcher. Nos 28 kilomètres habituels parcourus, le camp est dressé. À partir du 81° de latitude, nous érigeons un cairn tous les kilomètres.