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moment Wisting et moi nous arrivons à son secours. Un instant plus tard, le traîneau et ses treize chiens disparaissaient dans le gouffre. Au cri de détresse poussé par notre ami, Hansen et Hassel accourent de leur côté avec une corde. Immédiatement, elle est fixée à l’avant du véhicule en détresse ; installés sur la glace solide, Bjaaland et moi, nous le soulageons, pour donner le temps de dételer les chiens. Après quoi, nous soulevons le traîneau, puis l’amarrons à celui de Hassel, qui a été poussé en travers de la crevasse, à l’endroit où elle est le plus étroite. Maintenant nous pouvons respirer. Mais il est impossible de repêcher le véhicule sans le décharger au préalable. Après s’être fait attacher à une corde solide, Wisting s’occupe de cette besogne, pendant que Bjaaland et moi nous soutenons le poids de la charge, et que Hassel et Hansen assurent le va-et-vient des caisses. Contrairement à leur habitude, ces deux gaillards travaillent avec lenteur. Wisting, qui à examiné d’en bas leur point d’appui, les a avertis d’être prudents. La corniche de glace sur laquelle ils sont installés n’a que quelques centimètres d’épaisseur ! Nos camarades n’en sont pas émus pour cela ; ils continuent leur travail avec autant de calme que s’ils se trouvaient en toute sécurité.

Nous avons eu de la chance de passer ici ; c’est, en effet, le seul endroit où la crevasse soit assez étroite pour que l’on puisse placer un traîneau en travers. Plus à l’ouest, tout aurait été englouti. Une fois le véhicule déchargé, il est halé sur le glacier, puis on remonte Wisting. « Eh bien ! tu n’es pas fâché de sortir de ton trou ? lui dis-je. — Je n’en sais rien, dans cette glacière, on était si tranquille ! » me répond-il en riant.

Maintenant, la plus grande prudence s’impose. Le sol est littéralement haché de crevasses. Nous nous trouvons dans cette partie de la Barrière que nous avons surnommée le « Trou de cochon ». Avec la brume épaisse qui nous enveloppe, ce serait folie de continuer sur ce glacier disloqué. Il est donc décidé que l’on attendra une éclaircie. Mais sur le sol tout miné de cavités, nulle part un espace stable suffisamment grand pour la tente et ses piquets. Enfin, après de longues recherches, nous découvrons une toute petite surface d’apparence solide ; notre abri y est aussitôt dressé, et les piquets enfoncés dans les lèvres des gouffres qui nous entourent. Les chiens sont mis à l’attache pour les empêcher de rouler dans quelque précipice, puis tout le matériel nécessaire apporté dans la tente au prix de mille précautions. Wisting, ayant besoin de quelque chose qu’il a laissé dans son traîneau, sort. Tout à coup, à notre grand effroi, nous le voyons s’enfoncer comme dans une chausse-trape. Notre camarade a heureusement la présence d’esprit d’étendre les bras et parvient ainsi à se maintenir à la surface. Notez qu’il était déjà passé plusieurs fois sans incident par le même chemin. Wisting venait d’échapper à la mort ; la crevasse dans laquelle le malheureux avait culbuté était un gouffre sans fond. N’ayant rien de mieux à faire, nous nous délectons à un bon repas. Le ciel s’éclaircira quand il voudra ; en attendant, prenons du bon temps.

WISTING.

Vers une heure de l’après-midi, la brume devient moins épaisse, et subitement le calme se fait. À trois heures, enfin, une éclaircie ; tout de suite nous allons examiner l’état de l’atmosphère. Le temps devient évidemment meilleur ; si au sud la brume est toujours très dense, dans le nord des apparences de ciel bleu sont visibles. À travers cette grisaille apparaît vaguement une sorte de coupole. Immédiatement, Wisting et Hansen partent inspecter le terrain dans cette direction. Cette coupole est tout simplement un petit monticule de glace, comme nous en avons déjà rencontré dans ces parages. Les éclaireurs frappent la glace avec leur bâton ; cette protubérance n’est qu’une mince croûte au-dessus d’un effroyable gouffre !

À quatre heures, le ciel s’éclaire. Aussitôt, je pars en reconnaissance avec deux hommes pour trouver l’issue du labyrinthe dans lequel nous nous sommes engagés. Soigneusement attachés à une corde, nous faisons route dans l’est, direction que nous avons toujours suivie auparavant en pareille circonstance.

À quelques pas du camp, la zone crevassée prend fin. En même temps la brume se lève ; maintenant, le dernier de la cordée aperçoit le chef de file. La tente se trouve juste à l’extrémité nord-est d’une zone hérissée de petits monticules, Il n’y a aucun doute possible : la caravane a donné en plein dans le Trou de cochon. Après avoir poursuivi dans l’est, jusqu’à ce que la voie soit complètement libre, nous retournons au camp. Le paquetage est lestement terminé, et en route ! Quelle satisfaction on éprouve à retrouver sous ses pieds un bon terrain solide ! À toute vitesse, nous filons au sud.

Nous ne sommes pas encore complètement hors d’embarras : juste en travers de notre route, appa-