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le sol se dérobe ; ce tassement est accompagné d’un grondement sourd, qui souvent effraie les chiens et aussi leurs conducteurs. Sur le plateau polaire, nous entendîmes une fois comme une décharge d’artillerie.

UN GROUPE SUR LA BANQUISE. À L’ARRIÈRE-PLAN LA FALAISE TERMINALE DE LA BARRIÈRE.

13 septembre. — Température : 52°,5 sous zéro ; temps calme et très clair. Nous parcourons 30 kilomètres en nous guidant sur le soleil. Au moment où nous campons, le thermomètre marque −56°,2 ! Contrairement au règlement, j’ai apporté une bouteille d’aquavit et une de genièvre. C’est le moment ou jamais de les déboucher. Lorsque je retire le genièvre du caisson, il est transformé en bloc de glace. En essayant de la dégeler, la bouteille éclate. L’aquavit n’est pas en meilleur état ; au prix de minutieuses précautions, nous réussissons cependant à la ramener à l’état liquide. Nous attendons d’être couchés pour déguster cette excellente eau-de-vie. Hélas ! grande est notre déception : elle est sirupeuse, et, en l’avalant, nous ne ressentons pas dans l’estomac l’éblouissement sur lequel nous comptions.

14 septembre. — La température a encore baissé : −56° ! Aujourd’hui vraiment on sent le froid ! Heureusement le ciel est découvert ; nous pouvons donc nous diriger à coup sûr. Peu de temps après le départ, au milieu de la plaine blanche qui s’étend à perte de vue devant nous on voit se détacher un monticule. Aussitôt les jumelles sortent de leurs étuis. C’est le dépôt du 80° ! là, juste devant nous ! Hansen, qui depuis Framheim a marché à l’avant-garde le plus souvent sans boussole, mérite d’être félicité pour nous avoir si bien guidés.

Arrivés à 10 h. 15 du matin, au magasin, nous déchargeons tout de suite les traîneaux. Pendant ce temps, Wisting prépare une tasse de lait chaud, sur un Primus, qui flambe derrière une caisse. Bien abrité dans les caissons, le pétrole est encore liquide ; à ce moment pourtant, le thermomètre marque −56°. Jamais tasse de lait chaud ne me parut meilleure.

LE DÉPÔT QUE NOUS AVONS ÉTABLI AU 80° DE LATITUDE.

Mon projet de revenir en arrière a pris corps ces jours derniers. Il serait décidément plus que téméraire de persévérer davantage sur la route du Pôle et je décide, quoi qu’il m’en coûte, de rebrousser chemin.

C’en est fait ! nous nous installons sur les traîneaux, et en route pour Framheim. La piste est mauvaise ; très légèrement chargés les chiens n’en filent pas moins bon train. J’ai pris place à côté de Wisting, dont l’attelage me paraît le plus vigoureux. Je m’étonne que par un froid aussi intense on puisse rester