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Dans la journée, à la halte du dîner, nous abattons une chienne et trois jeunes chiens qui nous ont suivis, et dont la présence serait encombrante. Piste excellente. Les pavillons des cairns sont en parfait état ; depuis que nous les avons plantés, aucune chute de neige n’a dû se produire. Longueur de l’étape : 25 kilomètres. Les attelages ne sont pas encore entraînés, toutefois, d’heure en heure, ils font des progrès.

10 septembre. — Nos bêtes paraissent avoir retrouvé leur vigueur ; il est impossible de les retenir. C’est à qui passera en tête, d’où, à chaque instant, des collisions et une confusion extrême. Dans ces luttes de vitesse les chiens se fatiguent inutilement, et nous perdons du temps à les séparer. Toute la bande est dans un état de surexcitation indescriptible. Lassesen, apercevant son ennemi Hans dans un autre attelage, demande aussitôt l’aide de son ami Fix. Tous deux se précipitent alors à toute vitesse en avant, entraînant dans une course folle leurs compagnons de chaîne. Malgré ses efforts, le conducteur ne réussit pas à les maintenir. Lassesen et Fix ayant bientôt rejoint le groupe de Hans, les deux attelages se jettent l’un contre l’autre, dans une mêlée effroyable. Ne pouvant maîtriser nos bêtes, nous détachons les plus turbulentes et les amarrons par derrière aux traîneaux. Avec le temps et la patience, une paix relative s’établit. Ce jour-là, nous couvrons 30 kilomètres.

11 septembre. — Au réveil, 55°,5 sous zéro ! Le temps est splendide, calme et clair. La nuit, les chiens se sont tenus relativement tranquilles, preuve qu’ils n’aiment pas de pareilles températures. Ce froid intense rend la neige moins bonne, par suite la marche plus lente et plus pénible.

Dans la journée, rencontré plusieurs crevasses. Le traîneau de Hansen manque de culbuter dans l’un de ces trous ; on peut le retenir à temps. Pendant la marche, nous ne souffrons pas du froid ; par moments, nous avons même trop chaud. L’haleine des chiens, en se condensant, forme au-dessus des traîneaux un nuage si épais que le conducteur ne peut distinguer l’équipage qui le précède, quoique l’intervalle soit très court.

12 septembre. — 52° sous zéro, avec vent debout. Les chiens souffrent de cette température excessive. Ce matin, leur aspect est lamentable, tous demeurent pelotonnés les uns contre les autres, le nez sous la queue, secoués à chaque instant par de gros frissons ; plusieurs, à la vérité, tremblent constamment. Ils refusent de se lever, et, pour les harnacher, nous devons les mettre debout. Tout cela est grave. Pourrons-nous. par ce froid, aller jusqu’au bout ? J’ai peur qu’à vouloir continuer, par un temps pareil, nous ne risquions un désastre. La prudence semble me conseiller de pousser simplement jusqu’au dépôt du 80e parallèle, d’y laisser les charges des traîneaux, puis de revenir sur nos pas.

Dans la journée, le liquide de nos compas à alcool gèle. Le ciel tout embrumé masque le soleil. N’étant plus certains de notre route, à dix heures du matin, nous prenons le parti de camper et d’attendre une éclaircie. Ce que nous maudissons le fabricant des boussoles !

Afin de nous procurer un gîte confortable pendant cette longue journée d’attente, nous édifions deux huttes. La neige qui couvre les environs n’est pas bonne pour la construction ; nous nous procurons les matériaux convenables, en allant chercher des blocs de droite et de gauche. Par une température aussi basse, ces abris sont préférables aux tentes. Nous y éprouvons un véritable bien-être, lorsque le Primus en a élevé la température intérieure.

LES TRAÎNEAUX SONT CHARGÉS DANS LE MAGASIN D’HABILLEMENT (page 64).

La nuit suivante, nous sommes réveillés par un bruit étrange. Immédiatement, je regarde sous mon sac pour m’assurer qu’il ne s’enfonce pas dans quelque abîme subitement ouvert. Non, le terrain ne s’est pas affaissé. Dans l’autre hutte, on n’a rien entendu. Nous découvrîmes plus tard que ce bruit était causé par un tassement en masse de la neige. Une large surface de la nappe superficielle de la Barrière se détache et s’enfonce. Lorsque ce mouvement se produit, on a l’impression que