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ait été encore enregistrée. Le record thermique que nous ayons noté est −59°, le 18 août 1911. Pendant cinq mois, des températures inférieures à 50° ont été relevées. Le thermomètre montait par tous les vents, sauf par celui de sud-ouest, qui déterminait au contraire une baisse. L’aurore australe fut fréquente et souvent intense. Parmi ses formes très diverses, celles en arcs étaient le plus fréquentes, généralement avec des colorations rouges et vertes.

Nos observations pendant notre séjour d’un an sur la Grande Barrière confirment mon opinion sur sa solidité et montrent qu’elle repose sur le sol. Pendant l’hiver et le printemps, poussée contre le front du glacier par les vents et par les courants, la banquise se brise élevant son escarpement terminal, et s’y accumule en toross qui atteignent une hauteur de 12 mètres. Des pressions aussi énergiques se manifestèrent à 2 kilomètres seulement de nos quartiers, sans que nous ayons ressenti le plus léger mouvement. Si la Barrière était à flot, de pareils chocs non seulement auraient été perceptibles à la distance où nous nous trouvions du théâtre du phénomène, mais encore auraient secoué la maison. Pendant la construction de la cabane, Stubberud et Bjaaland entendirent une rumeur confuse à une grande distance, mais n’éprouvèrent pas même un frémissement. Durant l’hivernage, nous n’observâmes ni bruit ni secousse. Une autre preuve importante est fournie par la stabilité gardée par le grand théodolite de Presterude. Si la Barrière avait flotté, cet instrument extrêmement délicat, se serait décalé.

VU DE FRAMHEIM EN HIVER.

Le jour de notre arrivée dans la baie des Baleines, un pan du cap Ouest s’éboula, et, au printemps, une toute petite des nombreuses indentations que présente le bord du glacier fut démolie par les chocs de la banquise. À ces deux exceptions près, le front de la Barrière autour de Framheim ne subit aucun changement pendant un an. Chaque fois que le Fram s’approchait au bord du glacier, il trouvait des fonds de plus en plus petits, preuve évidente que la côte n’était pas loin. Enfin comment expliquer l’altitude de 330 mètres, observée à 50 kilomètres dans le sud de nos quartiers, sans la présence du sol à une faible profondeur ?

On travaille activement aux traîneaux. À la date du 15 août, tous les préparatifs pour l’expédition au Pôle doivent être achevés. Hansen et Wisting sont chargés de remonter les véhicules. Confier la fabrication des engins aux hommes qui doivent s’en servir est le meilleur moyen d’obtenir un travail aussi parfait que possible. Connaissant le but à atteindre, ils mettent leur honneur à en assurer le succès, et, devant participer à l’entreprise, ils se préoccupent en même temps d’assurer leur sécurité. Les diverses pièces des traîneaux sont assujetties avec un soin méticuleux ; pour les faire sauter, il faudrait une hache ou un couteau. Et cette besogne essentiellement délicate, nos camarades l’exécutent dans une pièce glacée ! Le « magasin d’habillement » où ils sont installés est la partie la plus froide de Framheim. Ayant accès d’un côté sur la Barrière, et de l’autre sur le couloir conduisant à la maison, il est balayé par un courant d’air ; quoiqu’il soit assez faible, on le sent, lorsque le thermomètre marque à l’extérieur −60° et que l’on travaille les mains nues !

En plus du montage des traîneaux, Hansen et Wisting ont nombre d’autres occupations. Lorsque Wisting n’est pas absorbé par la carrosserie, il coud ; souvent il n’arrive pour souper qu’à huit heures et demie, au moment du jeu des fléchettes. S’il n’avait été marqueur, Dieu sait quand il aurait quitté sa machine. Il transforme d’abord en deux tentes quatre tentes pour trois hommes. Bien qu’il n’ait guère d’espace pour couper ou pour faire courir l’ouvrage, le travail est parfait et semble l’œuvre d’un spécialiste.

L’expédition Sverdrup dans l’archipel polaire américain avait employé des tentes à double paroi. Ce que l’on ne possède pas est toujours ce qu’il y a de mieux ; aussi mes camarades vantent-ils ce modèle sur tous les tons. Une maison avec des murs doubles est naturellement plus chaude qu’une maison n’ayant qu’un mur simple ; en revanche, elle est deux fois plus