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gardons la maison, ne demeurons pas inactifs. Nous commençons par organiser dans la cuisine la station météorologique. Elle comprend deux baromètres à mercure, quatre anéroïdes, un barographe, un thermographe et un thermomètre. Les instruments sont placés dans un coin abrité, le plus loin possible du rayonnement du fourneau. Lindström installe ensuite un abri contenant un second thermographe, des thermomètres et un hypsomètre.

Dans la nuit du 10 au 11 avril, un objet placé dans la cuisine tombe. C’est l’annonce certaine, me dit Lindström, que les voyageurs seront de retour le lendemain. L’événement lui donne raison. L’expédition a accompli sa mission ; elle a été singulièrement périlleuse. À 75 kilomètres de la station nos camarades se sont fourvoyés dans une région extrêmement crevassée où ils ont perdu deux chiens. Quatre fois auparavant, nous avions traversé cette zone sans aucun accident, et voilà que, tout à coup, alors qu’ils se croyaient sur un sol aussi solide que le roc en place, la caravane faillit être engloutie dans des gouffres sans fond. Trompés par la brume, nos amis étaient venus trop dans l’ouest ; au lieu d’arriver sur le monticule, comme nous l’avions toujours fait auparavant, ils étaient, sans s’en douter, descendus dans la vallée située au pied, et avaient rencontré là un terrain si dangereux qu’une catastrophe fut sur le point de se produire. Dans cette région, comme dans celle que nous avions rencontrée au sud du 81°, la surface de la Barrière était accidentée d’innombrables petits mamelons qui recouvraient d’énormes crevasses. Trompée par l’apparence solide du terrain, la caravane s’engagea au milieu de ces monticules ; quel ne fut pas alors son effroi, de sentir le sol manquer sous ses pas et de découvrir de tous côtés d’effroyables abîmes ! De ce passage dangereux, on se tira en obliquant vers l’est. Désormais avertis, nous veillerons à ne plus repasser par là. Cette expédition mit en évidence les avantages des perfectionnements apportés à notre équipement. Le nouveau modèle de tente est unanimement approuvé.

Résumons brièvement l’œuvre accomplie du 14 janvier au 11 avril. C’est d’abord la construction et l’installation de la station d’hivernage ; ensuite la réunion d’un approvisionnement de viande de phoque pour neuf hommes et cent quinze chiens pendant six mois (le poids des phoques abattus s’élève à environ 60 tonnes métriques) ; enfin l’établissement de trois dépôts contenant 3 000 kilog. de vivres, aux 80°, 81° et 82° de latitude sud. Celui du 80° parallèle renferme de la viande de phoque, du pemmican pour les chiens, des biscuits, du beurre, du lait condensé, du chocolat, des allumettes et du pétrole, sans compter quantité d’effets d’équipement, soit environ 1 900 kilog. de provisions et de matériel. La cache installée sous le 81° parallèle contient 500 kilog. de pemmican pour les attelages et celle du 82°, 620 kilog. de pemmican pour les hommes et pour la meute, des biscuits, du lait condensé, du chocolat, du pétrole et des effets d’équipement.


(À suivre.) Traduit et adapté par M. Charles Rabot.


LES CHIENS À LA PROMENADE.