Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 19.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout le corps et que cette viande ne soit malsaine. En conséquence, sa dépouille est placée dans une caisse vide et enterrée. Pendant la nuit, un bruit effroyable nous réveille. La meute a réussi à déterrer le cadavre et s’en dispute les morceaux.

Enfin, le 21, à sept heures du soir, nous arrivons à Framheim. Notre seconde expédition nous coûte en tout huit chiens. Suivant toute probabilité, le froid a été la principale cause de cette mortalité ; par une température raisonnable, nos animaux auraient sans doute supporté les fatigues de cette longue randonnée.

Nous commençons les préparatifs d’une troisième campagne. Avant l’arrivée de l’hiver, je me propose de transporter au 80° de latitude 1 200 kilog. de viande de phoque. Pour assurer le succès de notre entreprise vers le Pôle, il est de la plus haute importance que les chiens puissent manger à discrétion, une fois la caravane arrivée à ce dépôt.

Avant le départ, nous apportons à notre équipement encore diverses modifications que l’expérience nous a suggérées. Presterud et Johansen affirment qu’un sac de couchage pour deux est préférable à des sacs simples. La discussion, à ce sujet, fut longue, mais n’aboutit à aucune conclusion. Si le modèle proposé par mes camarades présente de grands avantages, l’autre en offre également ; en cela, comme en beaucoup d’autres choses, c’est affaire de goût. Prestrud et Johansen ne voulurent pas démordre de leur idée et employèrent le sac à deux places. De leur côté, Hansen et Wisting travaillent à modifier les tentes. Le modèle qu’ils réalisent se rapproche, autant que possible, par la forme, des huttes de neige des Eskimos ; au lieu d’être rond, il est allongé et ne présente pas de surface plane sur laquelle le vent ait prise.

La partie interne de la Baie des Baleines — depuis le cap Manhue jusqu’au cap Ouest — est maintenant recouverte de glace ; au large, la mer demeure libre. La maisonnette est complètement sous la neige ; c’est l’œuvre de Lindström beaucoup plus que celle de l’atmosphère. Très judicieusement, notre camarade a pensé que cette couverture contribuerait à conserver la chaleur dans la maison.

Nos 107 chiens, même ceux qui ont été récemment éprouvés sur la Barrière, sont maintenant gros et gras, telles les bêtes que l’on engraisse pour la Noël. Ces animaux ont le privilège de grossir avec une rapidité extraordinaire.

De retour à la station, les chiens de notre caravane ne manifestèrent aucun étonnement ; ils semblaient n’avoir pas quitté leur gîte ; ils étaient seulement un peu plus affamés que leurs camarades restés au logis. L’entrevue de Lassesen et de Fix, deux amis inséparables, fut très drôle ; le premier commandait toujours au second qui lui obéissait aveuglément. Four le dernier voyage, Fix me semblant trop faible, je ne l’avais pas emmené ; en notre absence, il avait beaucoup engraissé. Aussi bien, je me demandai si Fix ne profiterait pas de sa force pour prendre le commandement sur son ami affaibli par les privations de la route. Dès qu’il aperçut Lassesen, il courut droit à lui et le lécha affectueusement, manifestant ainsi sa joie de le revoir. L’autre recevait ces marques d’amitié d’un air de supériorité très amusant, puis, sans plus de cérémonie, il se précipita sur son vassal et le roula dans la neige, évidemment pour lui prouver que, malgré sa maigreur, il demeurait son maître absolu. Le pauvre Fix se releva tout honteux ; mais il eut bientôt sa revanche. S’apercevant de la débilité de son suzerain, il ne se gêna plus pour lui sauter à son tour sur l’échine et le secouer vigoureusement.

L’ENTRÉE DES ATELIERS.

Tandis que se poursuivent les préparatifs de notre troisième expédition préliminaire, mes compagnons chassent beaucoup les phoques. Bjaaland, Hassel et Stubberud en ont tué soixante-deux en quatorze jours. Actuellement, la provision de viande fraîche est suffisante pour nous et nos chiens pendant tout l’hiver. De jour en jour nous aimons davantage le rosbif de phoque ; volontiers, nous en mangerions à chaque repas.