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de phoques. Il importe que la provision de viande fraîche soit suffisante pour assurer une alimentation copieuse aux chiens comme aux hommes. Le gibier ne manque pas. Si, pendant l’hivernage, nous venions à être privés de vivres frais, ce serait bien notre faute.

L’escalade de la Barrière est assez laborieuse. Après avoir renforcé les attelages, les traîneaux sont hissés toutefois sans trop de peine au sommet de l’escarpement terminal de la Barrière. Les gens du Fram suivent nos mouvements à la jumelle. Témoins de nos efforts dans l’ascension du glacier, ils doivent se demander ce que cela sera lorsqu’il nous faudra attaquer le plateau qui défend l’accès du Pôle.

Au moment de la séparation avec nos camarades de Framheim, aucune scène émouvante ; une simple poignée de mains, et au revoir !

LES TENTES DES CHIENS À FRAMHEIM.

Monté sur ses skis, Presterud avance en tête du convoi. Les chiens marchent toujours plus allègrement lorsqu’un homme les précède. Ensuite vient Helmer Hansen. Ce poste d’avant-garde, il le conserva ensuite dans toutes nos expéditions ultérieures. Nous avions accompli ensemble le passage du Nord-Ouest, et, au cours de cette exploration, j’avais apprécié son incomparable maîtrise comme conducteur de chiens. Son traîneau porte la boussole étalon, qui lui permet de rectifier la route suivie par Presterud. Après Hansen avancent Johansen, puis moi-même. Je préfère marcher en queue pour tout surveiller. Quelque précaution que l’on prenne pour arrimer les charges, fréquemment un objet tombe d’un traîneau. Si l’arrière-garde fait bonne veille, elle peut épargner à la caravane de gros ennuis. Au cours de nos expéditions, que d’ustensiles indispensables se détachèrent et que je recueillis ! La tâche la plus lourde incombe naturellement au conducteur de tête. Il doit ouvrir la route et faire avancer ses chiens, tandis que les autres n’ont qu’à suivre. Honneur donc à Helmer Hansen, qui a accompli cette besogne à la satisfaction générale. La fonction d’éclaireur n’est pas non plus très agréable. Si l’homme en pointe d’avant-garde n’a pas d’attelage à surveiller, il n’est pas précisément gai pour lui de marcher sans avoir jamais l’esprit occupé. Son unique distraction est d’obéir aux commandements de Hansen sur la direction à suivre : « Un peu à droite, un peu à gauche. »

Sur cette surface complètement dépourvue de points de repère, il est malaisé de tenir sa route. Imaginez une plaine immense, enveloppée d’un épais brouillard ; pas un bruit, et partout une neige uniforme sans la moindre ride. Très certainement un Eskimo réussirait à trouver son chemin à travers cette morne étendue toujours pareille, mais il n’en va pas de même d’un homme civilisé. Sans le secours de la boussole, il tournerait dans tous les sens et finirait par se perdre.

Les conducteurs, eux, n’ont pas le temps de s’ennuyer. Sans une minute de repos ils doivent surveiller