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De son ancêtre le loup, le chien eskimo a gardé, beaucoup plus que notre chien domestique, l’instinct de la lutte pour la vie et de l’utilité de la force. La lutte pour la vie l’a dès l’enfance mûri, et lui a donné à un degré surprenant des qualités de sobriété et d’endurance. Son intelligence est vive, nette et très développée, eu égard au travail auquel il est destiné et au milieu dans lequel il vit. On aurait tort de mal juger le chien eskimo, parce qu’il est incapable d’apprendre à faire le beau ou à saisir au commandement un morceau de sucre : ce sont là exercices trop différents de la tâche sérieuse de sa vie pour qu’il puisse jamais comprendre ces numéros de cirque. Dans leurs relations, ces animaux ne connaissent d’autre loi que celle du plus fort. Le plus vigoureux commande et agit suivant son bon plaisir. Tout lui appartient, et le plus faible se contente de ses miettes. L’amitié se développe facilement entre ces quadrupèdes, mais une amitié toujours mélangée de crainte et de respect pour la force. Obéissant à l’instinct de conservation, le faible recherche aide et protection auprès du puissant, lequel accepte ce rôle de protecteur, qui lui garantit une aide fidèle en cas de besoin. Ce même instinct se retrouve jusque dans les relations entre le chien et l’homme. Cet animal comprend que son maître lui assure la subsistance et pour cette raison il lui témoigne plus de respect et d’affection que ses congénères domestiqués, que seule la peur du fouet rend obéissants. Je pouvais sans crainte retirer la pitance de la gueule de mes douze chiens ; pas un n’eût essayé de me mordre. La peur de représailles consistant en privation de nourriture expliquait cette soumission exceptionnelle. Sur des chiens norvégiens, je n’aurais pas osé tenter cette expérience. Quelle est donc la raison de cette différence ? C’est que, chez notre chien domestique, l’obéissance est fondée sur la crainte du fouet et non, comme chez son congénère grœnlandais, sur l’instinct de sa propre conservation. Or, lorsque l’appétit l’emporte sur la peur de la cravache, le maître reçoit un coup de dent.

Quelques jours plus tard, Adolf-Henrik Lindström, qui jusque-là était resté sur le Fram à la tête du département culinaire, rallie la station. Son arrivée complète notre organisation. Aux fourneaux du bord lui succède le plus jeune membre de l’expédition, Karinius Olsen. Avec un dévouement et une habileté auxquels je ne saurais trop rendre hommage, il remplit ses fonctions pendant plus de quatorze mois. Désormais, avec un chef comme Lindström, la cuisine fonctionne régulièrement. Maintenant la fumée s’élève gaiement au-dessus de notre maisonnette, annonçant de loin la présence d’une habitation sur la Barrière antarctique. Après une journée de labeur fatigant au dehors, combien agréable est l’impression que nous laisse la vue de ce petit panache bleu. C’est un symbole.

CHASSE AU PHOQUE LE LONG DE LA BARRIÈRE.

L’arrivée de notre camarade nous vaut non seulement un ordinaire exquis, mais encore la lumière et l’air. Immédiatement il monte la lampe Lux et tout de suite notre intérieur resplendit de la plus vive clarté. Après quoi, avec le concours de Stubberud, il établit le ventilateur. L’installation en est laborieuse ; malgré les efforts de nos deux camarades, l’appareil ne fonctionna jamais régulièrement, surtout par les temps calmes. Lorsque le ventilateur s’arrêtait, Lindstrôm et Stubberud n’épargnaient ni leur temps ni leurs peines pour le remettre en marche. En pareil cas, pendant une heure ou deux, l’un et l’autre travaillaient sur le toit, en dépit des intempéries, jusqu’à ce que tout fût remis en ordre. Une bonne ventilation est la condition essentielle de la santé pendant un hivernage polaire. Si nombre d’expéditions ont souffert du froid et de l’humidité et ont été éprouvées par les maladies, cela tient principalement à ce que le renouvellement de l’air dans leur habitation n’était pas suffisamment assuré. Si l’air frais arrive en abondance, la combustion du charbon dans le poêle deviendra plus complète, par suite, la chaleur qu’il dégage plus grande. Au contraire, la ventilation est-elle défectueuse, une grande partie du combustible ne brûle pas, et la pièce devient froide et humide. La lampe Lux et le fourneau de la cuisine suffisaient à entretenir