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à toute vitesse vers ces tas de matériaux, sans que l’on puisse les maintenir dans le droit chemin. Les bêtes se précipitent alors sur ces épaves et les poussent devant elles avec une ardeur extraordinaire. Pour les remettre ensuite dans la bonne voie, il faut livrer un véritable combat. Sur la banquise, également, les distractions sont fréquentes, représentées par des troupes de phoques qui se chauffent au soleil. Dès que nos animaux les ont flairés, ils partent à fond de train du côté du gibier ; en pareil cas, seul un conducteur très habile réussit à les maintenir. Tels sont les incidents de la matinée, et, quoique le thermomètre marque −20°, souvent on arrive à bord trempé de sueur. Si par hasard tout marche bien, en quelques minutes les attelages franchissent les 2 kilomètres qui séparent le campement du mouillage du Fram.

21 janvier. — Plus de navire ! Dans la nuit, une brise très fraîche accompagnée de giboulées de neige a obligé le bateau à prendre le large. Ce matin, la mer brise encore avec force contre la Barrière. En attendant le retour du Fram, nous ne demeurons pas oisifs et achevons le transport à la station de quarante phoques tués la veille par le capitaine Nilsen. Pendant que nous nous livrons à ce travail, le navire rentre dans la baie. Entre temps, la construction de la maison est poussée activement. Aujourd’hui la couverture a été établie ; désormais les charpentiers pourront travailler à l’abri. Bien que fréquemment ils souffrent du froid, jamais ils ne profèrent la moindre plainte. Quand, la journée finie, j’arrivai à la tente, l’un d’eux préparait le repas du soir. Le menu ne variait guère : toujours des crêpes, et un café noir comme de l’encre. Mais comme il semblait bon ! Entre ces deux cuisiniers de rencontre, une rivalité s’éleva bientôt au sujet des crêpes, chacun prétendant surpasser l’autre. À mon avis, leurs talents étaient égaux. Les hommes du camp inférieur n’étaient pas à plaindre non plus, grâce à Wisting qui se révéla chef de grande maison. Son triomphe était le pingouin et la mouette à la Béchamel.

Aujourd’hui dimanche, repos ; il est bien mérité après le labeur de la semaine. Nous nous réunissons tous à bord, à l’exception des indispensables gardiens des deux camps.

Lundi, 28 janvier. — Nous continuons le transport des approvisionnements. Le terrain étant très accidenté près de la station, au lieu de les charrier jusqu’à la hutte, nous les déposons sur un monticule situé à 600 mètres en avant. Plus tard, lorsque le Fran sera parti, nous les amènerons près de la maison. Le temps nous ayant fait défaut pour ce travail, la plus grande partie de nos approvisionnements demeura là. Au début, ce transport ne se fait pas sans quelques difficultés. Les chiens habitués au chemin du camp inférieur refusent de prendre une route nouvelle. Le trajet du dépôt au navire avec le véhicule vide est parfois singulièrement laborieux. Entendant leurs camarades du camp inférieur, les attelages nous entraînent souvent dans cette direction.

Nous avons environ neuf cents colis ; à chaque voyage, un traîneau en porte six, soit 300 kilog. ; d’après nos calculs, une semaine suffira pour ce transport. En effet, le samedi 28 janvier à midi, tous les colis de vivres sont en place. Le dépôt a un aspect véritablement imposant avec ses longs rangs de caisses, chacune munie d’un numéro très apparent ; il sera par suite aisé de trouver rapidement ce dont on aura besoin.

CONSTRUCTION D’UNE ANNEXE À FRAMHEIM.

Maintenant, notre maisonnette est achevée. Combien différent est l’horizon qu’elle embrasse, de celui où elle a été construite : là-bas, de la verdure et des eaux frémissantes, tandis qu’ici rien que la glace. Également magnifiques sont les deux paysages ; mais rien ne vaut les sites aimés de la patrie. Ainsi que je l’ai déjà raconté, nous avons apporté des câbles pour assujettir solidement la cabane au sol de la Barrière ; en présence du calme régnant depuis notre arrivée, cette précaution nous paraît superflue : l’assiette de la construction semble suffisamment assurée par ses fondations. La façade est goudronnée, et la toiture couverte de papier également goudronné : elle se distingue donc de loin.