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membres de notre petite communauté font leur apparition, rasés de frais et vêtus de leur complet le plus neuf, si bien que la plupart sont méconnaissables.

À cinq heures, le moteur est stoppé, puis tout le monde s’assemble dans le carré avant, à l’exception du barreur. Sous la douce lumière des lampes de couleurs, les logements ont un aspect vraiment féerique, et dans ce milieu éclatant de gaîté, instantanément tous nous nous sentons monter la joie au cœur. La décoration fait honneur à son auteur, le lieutenant Nilsen, comme aux excellents amis qui nous en ont donné les matériaux. Nous prenons place autour de la table, chargée des chefs-d’œuvre de Lindström. À ce moment le phonographe entame le Glade Jul (Heureux Noël !) À ce chant nous nous sentons profondément émus, et plus d’un parmi nous sent perler une larme aux souvenirs qu’il évoque. Nos pensées s’envolent vers le vieux pays, tout là-bas, dans le Nord, vers les êtres chers que nous y avons laissés ; au fond du cœur nous souhaitons qu’ils soient en aussi bonne santé que nous. Mais ce nuage de tristesse disparaît vite, et aussitôt jaillissent les rires et les plaisanteries. Pendant le dîner, le second nous régale d’une chanson de sa composition qui met en scène les petits travers de tous les camarades. Son succès est très vif. Dans le salon arrière, le café est servi, accompagné des gâteaux de Noël. Tandis que nous faisons honneur à toutes ces bonnes choses, Lindström travaille à l’avant ; lorsque nous remontons sur le pont, un superbe arbre de Noël apparaît tout flamboyant. Alors commence la distribution des cadeaux. Nous en avons des piles, dus à la généreuse prévoyance de nos amis. Les Comités des dames d’Horten et de Frederikstad et les demoiselles du téléphone de Christiania nous avaient particulièrement gâtés. À dix heures du soir, les bougies sont éteintes. De cette fête, il nous reste un souvenir qui ne s’effacera pas de longtemps.

Après une étude attentive des navigations de nos prédécesseurs, nous mettons le cap de manière à couper le 65° parallèle par 175° de longitude est. Il s’agit de franchir le plus rapidement possible la banquise qui ferme l’accès de la mer de Ross. Si des navires ont été retenus six semaines dans ces glaces, d’autres les ont traversées en quelques heures, en suivant précisément la route que nous prenons.

La largeur de la banquise est naturellement très variable ; en règle presque générale, elle semble toutefois présenter une zone de moindre résistance entre le 175° de longitude ouest et le 180° ; en aucun cas, il ne faut l’aborder plus à l’ouest. Le 31 décembre, nous atteignons le 62° 15′ de latitude sud.

Voici la fin de l’année : comme elle à passé vite ! De même que ses aînées, elle nous a apporté tour à tour des succès et des déboires. Au moment où elle se termine, nous nous trouvons tout près du point où nos prévisions nous plaçaient à cette date, et tous nous sommes en parfaite santé. Le soir, un verre de grog en main, nous saluons la venue de 1911, en nous souhaitant mutuellement la meilleure chance possible dans notre grande entreprise.


(À suivre.) Traduit et adapté par M. Charles Rabot.


L’AVANT DU « FRAM ».