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EN MER, SUR LE PONT DU « FRAM ».


AU PÔLE SUD

PAR ROALD AMUNDSEN


I. — DE NORVÈGE À LA GRANDE BARRIÈRE


Mon programme. — Les préparatifs à bord du Fram. — Le branle-bas du départ. — Croisière d’essai. — Psychologie canine. — Relâche à Madère. — Je dévoile à mes compagnons la destination du navire. — La zone des vents d’ouest. — Vers Kerguelen. — La banquise antarctique. — Fête de Noël 1910. — En vue de la Grande Barrière.


UN DE NOS NOURRISSONS.


Depuis plusieurs années, je préparais une expédition dans le bassin arctique. Avec le Fran, je me proposais d’entreprendre une nouvelle dérive à travers l’océan Glacial, en partant du détroit de Behring. Explorer le grand blanc qui occupe encore la majeure partie de la calotte polaire boréale et compléter l’œuvre de Nansen, tel était mon dessein. Les préparatifs étaient très avancés, la date même du départ fixée au début de l’été 1910, lorsque soudain se répandit la nouvelle de l’arrivée de Peary au Pôle Nord. Tout de suite je compris que l’avenir de mon projet était menacé. Seule une décision rapide pouvait le sauver ; aussi immédiatement, je résolus de changer mes batteries et de faire volte-face vers le Sud.

J’avais, il est vrai, annoncé que mon exploration garderait un caractère exclusivement scientifique et ne se préoccuperait point d’établir un record ; d’autre part, les souscripteurs de l’expédition ne m’avaient apporté leur contribution que sur la foi d’un programme précis relatif à l’Arctique. En raison du fait nouveau, comme du peu de chances qui me restaient de pouvoir réaliser mon projet primitif, je jugeai que, sans manquer de loyauté envers les donateurs, je pouvais tenter une entreprise qui, en cas de succès, remettrait immédiatement l’affaire sur pied. Ce fut donc avec une conscience très calme que je décidai de retarder l’exécution de mon plan primitif d’un an ou deux, afin d’essayer de réunir dans l’intervalle les fonds qui me faisaient défaut. Le Pôle Nord était atteint ; le plus important des problèmes arctiques, aux yeux du grand public, se trouvait résolu. Pour éveiller l’intérêt de la foule en faveur de mon