nous étions alors en plein été. Or, cette fois, nous sommes en février ; à l’approche de l’automne, la navigation peut être laborieuse. Quoi qu’il en soit, la banquise ne nous retardera pas, déclare péremptoirement le capitaine Nilsen. Il a trouvé un moyen infaillible de la traverser, affirme-t-il. Son assurance me semble tant soit peu téméraire ; l’avenir montra que Nilsen ne s’était pas trop avancé. Plus difficile sera la navigation dans la zone des vents d’ouest, où nous serons peut-être obligés de louvoyer. La différence en longitude entre la baie des Baleines et Hobart est presque de 50°. Sous le parallèle de Framheim, où un degré de longitude vaut 13 milles marins environ (24 kilomètres), cette différence pourrait être couverte rapidement. Malheureusement la saillie formée vers le nord par la Terre Victoria nous empêche, sous cette latitude, de faire de l’ouest jusqu’au méridien d’Hobart. Donc, nous devons d’abord nous diriger au nord, puis doubler le cap Adare, la partie extrême du continent antarctique, ensuite, plus loin au large, les îles Balleny. Pas avant d’abord débordé cet archipel, la route de l’Ouest ne nous sera ouverte : nous trouverons alors très probablement des vents debout. Courir des bordées avec le Fram, cela sera agréable ! Chacun de nous connaît cette situation et se préoccupe de surmonter les difficultés qui nous attendent. L’œuvre qui nous reste à accomplir demande toute notre attention et l’union de tous nos efforts.
Par le courrier que le Fram a apporté, j’avais appris que l’expédition antarctique australienne, commandée par le Dr Douglas Mawson, et qui était en armement à Hobart, serait heureuse d’avoir quelques-uns de nos chiens, si nous pouvions lui en donner. Il m’était possible de rendre ce léger service à notre confrère. En quittant Framheim, nous avions encore trente-neuf bêtes. Si un grand nombre étaient nés pendant le voyage, la moitié environ étaient des vétérans originaires du Grœnland ; onze avaient fait le voyage du Pôle. Mon intention avait été primitivement de n’en garder que quelques-uns comme noyau d’une nouvelle meute pour la nouvelle exploration que je compte entreprendre dans l’Arctique ; en présence du désir du Dr Mawson, j’embarquai toute la bande. Une fois le dernier colis enlevé, les chiens sont à leur tour amenés à bord. Les anciens reprennent aussitôt sur le pont leur place habituelle, comme s’ils avaient quitté le navire de la veille. Le dernier chien hissé, le moteur est aussitôt mis en marche.
Pendant l’année que nous venons de passer à Framheim, les contours de la baie des Baleines n’ont subi aucun changement. Même la saillie la plus avancée du mur occidental de la Barrière, le cap Manhue, n’a pas bougé. Par contre, tandis que, la saison précédente, la plus grande partie de la baie était libre dès le 14 janvier, en 1912, la débâcle s’est produite deux semaines plus tard. Seulement, le jour de notre retour du Pôle, un coup de vent a disloqué la banquise qui couvrait encore la baie, et y a ouvert un chenal d’eau libre. Quelle chance qu’en 1911 les glaces soient parties de bonne heure ! Si elles étaient demeurées en place aussi tard qu’en 1912, le débarquement du matériel et des approvisionnements eût exigé le double de temps que l’an dernier et eût été bien plus difficile.
… Une brume épaisse enveloppe la baie ; par suite, impossible de voir les faits et gestes de nos amis japonais. Le coup de vent du 27 janvier avait forcé le Kaïnan Maru comme le Fram à prendre le large ; depuis nous ne l’avons pas revu. Dans ces derniers temps, les membres de l’expédition nippone, campés sur le bord de la Barrière, au nord de Framheim, ont observé une très grande réserve à notre égard. Le jour de l’appareillage, Presterud alla chercher le pavillon qui avait été planté sur le cap Manhue pour annoncer au Fram notre retour. À côté de ce signal avait été dressée une tente, destinée à abriter un veilleur au cas où notre bateau aurait tardé à rentrer. En arrivant, Presterud ne fut pas peu surpris de se trouver nez à nez avec deux Japonais, en train d’inspecter le contenu de la tente en question. Les étrangers entamèrent la conversation par des phrases admiratives sur la clarté du ciel et l’abondance de la glace ; après avoir fait