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première fois depuis notre arrivée sur le glacier du Diable, nous pouvons pendant quelques minutes gouverner droit au sud. À mesure que nous avançons, le terrain devient meilleur. Dans le lointain surgissent de nouvelles coupoles de glace ; elles marquent la limite méridionale de la zone des grandes crevasses. Relativement hautes et formées de glace vive, leur ascension offre de grosses difficultés. Au delà, le glacier présente un aspect tout différent ; ses fentes sont complètement remplies de neige, et partout il est facile de les passer. En revanche, il est hérissé d’une énorme quantité de ces petits monticules que nous avions observés antérieurement sur la Barrière. Cette formation est très certainement due au voisinage du sous-sol. Maintenant, la marche devient un plaisir. Plus besoin de faire des détours pour choisir un passage : on avance en suivant droit son chemin ; seulement de temps à autre un monticule oblige à s’écarter de la route. De distance en distance nous traversons de larges surfaces de glace vive ; elles sont très disloquées, mais leurs fentes restent toujours étroites, quelques centimètres d’ouverture au plus.

Le soir, campé sur une plaque de glace de couleur laiteuse. Près de la tente s’élève un petit monticule, où Hassel va s’approvisionner de glace pour la marmite. Grand est son étonnement de trouver le vide à l’intérieur. Son piolet enfonce jusqu’au manche sans rencontrer de résistance. Ce monticule recouvre un trou sans fond !

EMPLACEMENT DU CAMP ET DU DÉPÔT AU 88°.

1er décembre. — Une rude journée. Coup de vent de sud-est, neige abondante et brume épaisse avec une piste exécrable ; rien que de la glace vive. Sur cette nappe lisse, nos malheureuses bêtes glissent et patinent sans avancer. La marche est rendue encore plus difficile par des sastrugi ; pour faire franchir aux véhicules ces vagues de neige, nous devons joindre nos efforts à ceux des attelages. Dans l’après-midi, encore des crevasses. Quoique presque pleines, elles sont très dangereuses. Le moment le plus délicat se présente lorsque les chiens essaient de remonter du bouchon de neige qui recouvre les gouffres, sur le glacier. La glace vive ne leur offrant aucune prise, ils ne peuvent hisser le traîneau ; là encore les conducteurs doivent les aider ; or, pendant toute la manœuvre, une charge considérable porte entièrement sur le fragile pont. Aussi, à plusieurs reprises, des accidents faillirent se produire. Un temps abominable rend la situation particulièrement dangereuse. Malgré ces circonstances défavorables, l’étape est de 25 kilomètres.

L’installation sous la tente est relativement confortable. Trois sacs de couchage sont placés au fond et deux à côté de la porte. Près de l’entrée se trouve le fourneau. Une fois les lits préparés, les hommes qui ne sont pas de service se reposent et écrivent leur journal de route, tandis que les deux cuisiniers surveillent attentivement la popote. Au mot magique : « À la soupe ! » tout le monde abandonne rapidement ses occupations pour accourir, la tasse d’une main, la cuiller de l’autre. Quoique le potage soit bouillant, il disparaît promptement. Ensuite, vient le plat de résistance, le pemmican ; le dessert est représenté par du biscuit arrosé d’eau claire. Pendant le repas, le Primus est maintenu à petite allure, et une douce température emplit la tente.

Tous les samedis soirs, afin que le dimanche la tenue soit un peu plus propre ou du moins un peu moins sale, les barbes sont passées à la tondeuse. Dans les régions polaires, d’ailleurs, il n’est guère pratique de