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de ses pichets d’étain, de ses mortiers de bronze, où la vieille pharmacopée amalgamait, en d’étranges remèdes, larmes d’or potable, dents de chien râpées, poils de loups, crapauds écorchés, acide nitreux, bézoard et mirobolam ; — la Cuisine, avec sa vaste cheminée, au linteau de pierre élégant, vigoureusement profilé ; avec ses chenets et son bras tournant, d’acier poli et étincelant, où s’accrochaient, sur les feux de bûches, les grandes marmites ; avec sa rôtisserie, qui a gardé son petit Tourne-broche automate, en tablier de cuisinier et bonnet de coton ; — la Salle du Conseil, remaniée au xviiie siècle, mais qui a conservé son ancien carrelage vernissé, rouge et jaune, aux armes de Guigone de Salins. Sur les murs, sont appendues des tapisseries des Flandres, du xviie siècle, de superbe allure et d’exécution toute raphaélique, magnifiques de conservation, et qui représentent l’Histoire de Jacob. C’est dans cette salle que se fait, chaque année, l’adjudication publique des vins de l’Hospice, qui forment un de ses principaux revenus, et qui établissent, pour tout le vignoble beaunois, le cours maximum de la récolte. Par un usage séculaire en effet, ces vins sont toujours vendus tels qu’ils sortent du pressoir, abondants ou rares, fins ou superfins, selon l’année, mais sans adjonction, en aucun cas, d’aucune autre cuvée. Attenante à la Salle du Conseil, dont la sépare la vieille porte de fer d’il y a cinq siècles, la Salle des Archives, en pierre et voûtée, renferme les titres et inventaires de l’Hospice et les registres où ont signé ses visiteurs illustres, dont Louis XIV et Colbert.

La Grande Salle des Malades, ou « Chambre des Pôvres », la plus ancienne, celle qui remonte à Nicolas Rolin, occupe le corps de logis parallèle à la rue, plus austère d’aspect, et que nous avons en entrant traversé sans nous arrêter. La fantasmagorie entrevue de la Cour nous attirait.

Mais combien saisissante, elle aussi, dès qu’on y pénètre ! C’est à la fois, une salle d’hôpital, et une église, une nef gothique de 45 mètres, large de 13 mètres, avec son autel, ses longues fenêtres en ogive et ses vitraux, avec le berceau de bois peint de ses voûtes, que soutiennent des poutres transversales bariolées, butées dans des gueules de Goules. Le long des murs sont rangés les lits où gémit et agonise la souffrance humaine. C’est à tous les pauvres êtres qu’ils enclosent de leurs rideaux blancs que, de son autel où il se dresse dans la lueur mystérieuse de la grande verrière, le Christ tend ses bras crucifiés. C’est lui qui console et hospitalise, dans sa propre église, toutes ces douleurs. Nous sommes bien ici dans la Maison du Seigneur, l’Hôtellerie de Dieu, l’« Hôtel-Dieu ».

Depuis, d’autres temps sont venus. La voix du prêtre officiant, à laquelle répondait le chant des Sœurs et celui des malades, s’est tue. Les cierges ne s’allument plus, chaque jour, étoiles de l’Au-Delà, à l’heure de la messe coutumière, dans les vapeurs bleues de l’encens. Mais l’impression de foi ardente qui édifia ce sublime symbole de charité divine a subsisté.


D’autres fondations pieuses (entre autres généreux donateurs, Jean de Massol, conseiller au Parlement de Bourgogne, légua à l’Hôtel-Dieu, en 1670, sa fortune évaluée à 2 millions de notre monnaie) permirent aux siècles qui suivirent de poursuivre l’œuvre de Nicolas Rolin et d’édifier de nouvelles salles d’hôpital. Différentes de style elles demeurèrent toutes d’allure vraiment royale, d’autant, comme nous l’avons dit, que la mode s’établit, pour les riches eux-mêmes, de venir, moyennant argent, se faire traiter à l’Hôtel-Dieu. Nos hôpitaux modernes, avec la beauté en moins, n’ont rien à envier à l’hygiène de ces vastes salles, à la hauteur de leurs plafonds, à la clarté de leurs larges baies, par où passent, l’été, des parfums d’orangers en fleur. Toutes aussi conservèrent, en chacune d’elles, leur autel plus ou moins somptueux qu’on y voit encore aujourd’hui, et le symbole du Dieu présent. La plus intéressante est la Salle Saint-Hugues, dont les murs sont couverts de fresques géantes du xviie siècle, représentant des Guérisons Miraculeuses.

CATHERINE DE MASSOL, FILLE DE JEAN DE MASSOL, UN DES DONATEURS DE L’HOSPICE DE BEAUNE.