mencement de son effort. Nous amplifions, nous imaginons sans doute lorsque nous parlons de la volonté d’un élément, lorsque l’hérédité des premières religions de nature qui est en notre esprit aryen se manifeste. Nous nous complaisons à croire à l’acharnement du vent qui se jette contre les obstacles, qui s’entête contre un arbre, contre une porte, qui s’introduit perfidement par un interstice, par une cheminée. Nous percevons la colère patiente de l’eau qui revient sans cesse ronger la même digue, se briser contre le même roc, jusqu’à ce qu’elle l’ait émietté, usé, emporté avec elle, à force de revenir à la charge pendant un siècle, pendant des siècles. C’est, croyons-nous, par habitude d’intelligence, par goût des entités, par extension mythologique et abus des mots que nous voyons ainsi. Ce vent qui circule, cette eau qui s’en va et revient, ne sont pas évidemment animés des passions et des sentiments que nous leur prêtons, mais c’est de ces grandes agitations qui font le tour de la Terre, de ces grands oscillements d’eau, c’est de toute la vie des choses, non complètement pénétrée encore, c’est de toute cette force que nous définissons attraction, pesanteur, mouvement, c’est de toute cette fatalité que viennent nos passions et nos sentiments à nous.
Lorsque, au cours des six heures d’une marée, on reste, sans se lasser, sans connaître l’ennui d’une minute, à regarder les circuits de l’eau, ses avancées, ses retraits, ses élans pour revenir, il est bien difficile de ne pas voir là, dessiné sur cette grève en lignes absolument nettes, par les demi-cercles décrits, par les découpures de la vague, par l’ourlet de l’écume, le graphique stupéfiant des allers et des retours de notre volonté, de nos victoires et de nos défaites, des terrains conquis et abandonnés, de notre vie recommencée, tous les jours, dans des conditions que nous ne saurions enfreindre.
« L’océan parle à la pensée, » a dit Hugo. Il aide à faire comprendre un peu, comme le reste, la vie obscure où nous trouvons tous les problèmes, tous les mystères. Ce charme de la compréhension, on peut le trouver partout, dans un jardin minuscule où la merveille de la germination et du fleurissement s’accomplit, au creux d’un terrain où la géologie parle son langage éloquent et irréfutable. Mais nulle part, mieux qu’au bord de la mer, le travail de l’esprit et le repos du corps ne trouvent leur compte à la fois. La mer agit pour celui qui s’arrête au bord des flots, elle l’apaise et l’exalte tour à tour, elle a des moments pour ensommeiller sa pensée, d’autres moments pour lui suggérer l’activité spirituelle et sociale. Elle chante la même chanson contradictoire et perpétuelle qui est en nous, que nous nous plaisons à entendre en dehors de nous, que nous ne nous lassons pas d’entendre,
Ces impressions, formulées au retour des grèves de Plovan, je les avais déjà ressenties ailleurs, et je les ressens encore pendant les arrêts au bord de la mer, lorsque je m’en vais d’Audierne vers la pointe du Raz, par Esquibien et Saint-Tugean, où l’église gothique et Renaissance conserve, dans un reliquaire, une clef de fer qui a appartenu à saint Tugean, et qui sert à perforer des petits pains, lesquels sont destinés à mettre en fuite les chiens enragés. Avec la clef, il y a les dents du saint, enchâssées dans une mâchoire en argent doré, et dont le contact guérit les maux de dents. En l’honneur du saint, beaucoup d’hommes du pays portent encore des vestes avec une clef brodée dans le dos, et des chapeaux où pend une clef de plomb, attachée au ruban.
Jusque-là, il y a eu quelques arbres, des chênes, des pins. Après Saint-Tugean et Primelin, il n’y en a plus. Il y a des moulins à vent, puisqu’il y a du vent sur les coteaux d’où l’on voit écumer la mer houleuse. Il y a des dolmens. Il y a la chapelle de Notre-Dame-de-Bon-Voyage. Il y a le village de Plogoff, fondé par saint Collédoc, évêque devenu ermite, et qui se trouva mieux ici qu’à la cour du roi Arthur. Ce