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d’une église au fin clocher. Et plus loin que Plozevet, en revenant vers la mer, un menhir de près de 5 mètres de long porte une inscription rappelant le naufrage du vaisseau Les Droits de l’homme, en 1797. Les naufragés furent dévorés par la mer, et nombre d’entre eux, rejetés au rivage, sont enterrés ici, autour de la pierre, devenue le menhir des Droits de l’homme. Voici, d’ailleurs, l’inscription : « Ici, autour de cette pierre druidique, sont inhumés environ six cents naufragés du vaisseau Les Droits de l’Homme, brisé par la tempête, le 14 janvier 1797. Le major Piron, né à Jersey, miraculeusement échappé à ce désastre, est revenu sur cette plage le 21 juillet 1840, et dûment autorisé, a fait graver sur la pierre ce durable témoignage de sa reconnaissance. » Je retrouve ensuite la ligne nue de la baie d’Audierne, le sable blanc, les énormes pierres roulées et arrondies par le flot, la côte rocheuse, et, de temps en temps, un minuscule fjord bien orienté, un petit vallon, dont les pentes sont garnies d’une herbe douce. La mer n’est pas grosse, mais elle est bouillonnante et hargneuse, à certaines places, et toute prête, sous l’injonction du vent, à se transformer en furie.

LE CALVAIRE DE COMFORT.

Encore un arrêt à Plovan, puis à Tréguennec et à la chapelle de Notre-Dame de Tronoan, où j’arrive au crépuscule ; mais il fait suffisamment clair pour voir la chapelle, bâtie au milieu de la rase étendue, et le calvaire, le plus ancien de la Bretagne, construction massive à deux rangs de personnages, au-dessus desquels s’élèvent les trois croix.

Je m’aperçois là que je suis plus près de Penmarch que d’Audierne, où j’ai mon gîte, et je prends le parti de regagner Pont-Labbé, où je trouverai, plus facilement que parmi les landes, une voiture pour rentrer à Audierne. En route, la nuit venue, je songe à ma journée passée presque tout entière au bord des flots, et à d’autres journées semblables, où l’on n’a rien fait que marcher, s’allonger sur le sable, regarder, écouter, et qui laissent pourtant la sensation d’avoir agi. La mer, en réalité, agit pour nous. Nous ne nous lassons pas de la contempler, de la voir recommencer sans cesse les mêmes arrivées et les mêmes départs. Nous voyons son existence d’élément, et nous lui prêtons une autre existence expressive. Elle se prête à notre rêverie mieux que les choses immobiles, et j’en arrive à croire à une sorte d’affinité réelle entre notre pensée en recherche et ce monde agité. La raison de notre amour pour la mer, on la cherche et on la trouve dans le spectacle de ce perpétuel mouvement, qui nous fait croire à une sorte d’âme révoltée et inquiète des flots. Des rapports évidents existent entre l’individu humain et l’ensemble des choses, et nous sentons en nous, instinctivement ou avec réflexion, les mêmes rythmes que nous percevons dans l’espace. Lorsque nous regardons les croissances du flux et les décroissances du reflux, c’est encore nous que nous voyons, c’est de notre personnalité identique à l’univers que nous prenons conscience. Toutes les parcelles de la matière, même celles qui paraissent s’être détachées, et qui se sont organisées avec la faculté de déplacement, même celles qui sont arrivées à un état cérébral qui leur permet le voyage hors du visible, toutes continuent de participer à la vie de la planète, de faire partie du système où la terre évolue. Nous sommes tous, hommes qui avons pu nous croire le but, la fin de l’univers, — nous sommes tous de petites Terres, c’est-à-dire des points de la Terre soumis aux mêmes conditions vitales que les molécules en course avec nous dans l’infini.

LE CALVAIRE LE PLUS ANCIEN DE LA BRETAGNE, À TRONOAN.

Je ne sais si ces observations ont été déjà rêvées, entrevues, écrites. Je sais qu’elles naissent en moi chaque fois qu’il m’est donné d’apercevoir l’ensemble d’un paysage, la rondeur du globe, chaque fois, surtout, que le cercle de la mer m’apparaît au loin, que l’existence de l’eau se révèle par le perpétuel recom-