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D’autres, gravement, se promènent, se donnent à voir plutôt qu’elles ne voient ce qui se passe autour d’elles. Ce sont les belles commères du pays de Fouesnant, des broderies d’or au corsage. En voici deux, l’une en tablier marron, l’autre en tablier lilas pâle semé de fleurettes, qui tiennent tout le chemin, hautes, larges, parées comme des châsses. Et tout le pays breton, toute la particularité des types apparaît à un tournant de la fête, devant une baraque où s’affiche cette inscription : Madame Anézel, — Somnambule de premier ordre, — Consulte sur le passé, présent et avenir, — Cause civil et militaire, d’intérêt ou d’amour… Sur le seuil, au milieu d’un groupe de tziganes, la beauté d’Orient apparaît dans ce milieu de Bretagne, une belle fille brune, aux cheveux crépus, aux accroche-cœurs collés aux tempes, au teint de cuivre, aux hardis yeux de velours. Elle va et vient, les poings sur les hanches, ondulant de tout son souple corps au milieu de ces raides costumes. Elle s’arrête, invite un paysan à pénétrer dans la baraque, l’entreprend, veut l’enjôler de gestes et de paroles. Le paysan carré, à larges braies, un collier de barbe touffue sous le menton, rugueux et lourd, reste impassible, muet, d’aplomb, ours timide et méfiant qui regarde minauder une chatte.

VÉNUS ROMAINE TROUVÉE À TRONOËN.

Benodet est sur la rivière et sur la mer : l’Odet qui vient ici après avoir passé par Quimper, — l’anse de Benodet largement ouverte sur l’Atlantique. C’est l’endroit de plaisance des bourgeois de Quimper, les belles maisons abondent, entourées de fleurs, la plage s’étend, large et sûre, pour la flânerie des baigneurs. Soudain, tout s’assombrit, le temps se gâte, le ciel bleu devient gris, et c’est sous la pluie que je passe l’Odet sur un banc. De l’autre côté, c’est un autre aspect, le pays de Pont-Labbé et de Penmarch, que je visiterai avant d’entrer à Quimper. Avant Pont-Labbé, c’est l’île Tudy et Loctudy. L’île Tudy n’est plus une île ; la mer a amoncelé des sables qui l’ont reliée à la côte, mais on a sur son sol, presque à ras des vagues, l’illusion de vivre dans l’eau. Les maisons basses avec leur petit bout de jardin sont comme des barques amarrées, autour desquelles sèchent les filets. Il y a d’autres îlots tout proches, l’île Chevalier, l’île des Chevreuils, l’île Garo : c’est une sorte d’archipel émergeant d’une mer ensablée et tumultueuse. Le bourg de Loctudy, de l’autre côté de la rivière de Pont-Labbé, est célèbre par son église romane ; on y va facilement, de l’île Tudy, avec le bateau d’un passeur. L’église, en effet, vaut ce court voyage, par ses colonnes aux chapiteaux ornés, et aussi toute une population nouvelle mérite la visite : hommes aux vestes ornementées, femmes aux coiffes d’étoffe sur le haut de la tête. De là, on peut gagner Pont-Labbé en voiture ou en barque, au choix, mais la pluie reparaît, et il est plus sage de choisir la voiture. On longe la mer pendant quelques instants, puis le paysage gracieux devient plus morne, les arbres sont plus espacés, la lande reparaît, coupée de maigres cultures.

LE DOLMEN DE KERNUZ.

Pont-l’Abbé n’est plus guère aujourd’hui qu’un petit port de pêche et d’échouage. Autrefois, la ville a eu ses jours de gloire. Elle a été le centre d’une des plus puissantes baronnies de Bretagne, elle a eu son enceinte de murailles dont il reste encore des traces, mais qui fut démantelée, car elle ne se soumit pas sans résistance au pouvoir royal, et il fallut, qu’en 1501, un édit enjoignit aux seigneurs de Pont-l’Abbé de « ne plus s’inscrire seigneurs du duché de Bretagne, et de ne plus porter les armes de ce duché ». Il y eut aussi à Pont-l’Abbé, en 1673, la révolte contre le papier timbré établi par Louis XIV. La ville a gardé bon aspect, et c’est un plaisir d’y entrer, même quand il pleut, après une course fatigante en voiture. Les maisons de granit, à moulures et à lucarnes, ont cet air sérieux des logis qui existent depuis deux ou trois siècles, qui ont été bien construits et qui sont restés solides. Le quai est ombragé d’arbres, et le port fait un joli paysage avec ses bateaux, la ligne des maisons, et le clocher posé sur la ville comme un couvercle. Les bâtiments du couvent des Carmes ont été démolis, et le cloître a été reconstitué à Quimper, inauguré le 17 mars 1902. L’église est l’ancienne chapelle de ce couvent, de la fin du xive siècle, restaurée au xvie siècle, et qui garde un portail ogival, une rosace jolie, des tombeaux d’abbés et de barons.

Toutes les têtes de femmes, ici, sont coiffées du bigouden, que l’on croit orné de dessins phéniciens,