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Le seul bruit continu, avec ce bruit du vent qui croît et décroît, qui soupire et chuchote, se répand en ondes symphoniques, c’est le chant des oiseaux, dans les haies, dans les arbres, un ensemble de roulades éperdues qui ne s’arrêtent même pas pour le passage planant de quelque oiseau rapace, soudain immobilisé, férocement suspendu au-dessus d’une clairière, cherchant pâture et choisissant sa proie. Tous les autres bruits sont brefs, accidentels, et il faut, pour les entendre, se mettre à l’affût, comme un chasseur, avec la patience et la prudence du pêcheur à la ligne. C’est un froufroutement dans l’herbe, un saut dans la broussaille, parfois une trouée de grosse bête qui écrase tout sur son passage. La nuit, surtout, on peut percevoir les courses légères ou pesantes, et connaître la surprise des souffles tout proches, des formes qui sortent tout à coup d’un hallier et franchissent en deux bonds la route. Alors la forêt a les noirceurs et les transparences douteuses de la nuit, elle est toute tressaillante du mystère des choses inaperçues, emplie de l’horreur de la nature qui a toujours troublé les hommes.

Elle offre, le jour, dans la lumière, des aspects plus accueillants, dans quelques échancrures de sa lisière, sur quelques-uns de ses plateaux où sont établies les huttes de ses charbonniers et de ses sabotiers. Les voilà, les vrais maîtres de la forêt, autant que les gardes qui apparaissent aux tournants, le fusil sur l’épaule, marchant au pas correct du soldat. Ces agglomérations de huttes, installées en campements d’Indiens, ces fumées, cette cuisine en plein air, ces hommes qui travaillent, ces enfants qui rient dans la fougère, tout parle au civilisé inquiet de joie instinctive, d’un au jour le jour sans souci, d’une acceptation naturelle d’un sort médiocre, d’une vie, en somme, aussi heureuse que possible, humble et libre.

Cette belle forêt de Carnoët connaît l’animation d’une fête, une fois par an, le lundi de la Pentecôte, au lieu dit Toulfouën (trou de foin) à l’entrée de la forêt, près Quimperlé. C’est la foire aux oiseaux, de tous les ramages et de tous les plumages. Non loin, l’église de Lothea et les vieilles pierres que l’on donne comme les ruines du château de Carnoët, qui fut le repaire de Con-Mor, un des Barbe-Bleue de la Bretagne.

Mais la ville est le point de départ d’autres excursions.

Quimperlé, qui a déjà le silence de la nuit et la gaieté du jour, n’a pas seulement la forêt, il a aussi la rivière, et, à douze kilomètres, la mer.

Ces douze kilomètres, on peut les faire à travers la forêt de Clohars-Carnoët, ou sur la rivière de la Laïta, formée au bas de la petite ville par la réunion de l’Ellé et de l’Isole. Il est vrai que sur cette rivière on est encore en forêt. L’eau de la Laïta s’en va sous bois, court entre les chênes et les hêtres. Elle est bleuâtre et tendre au départ de Quimperlé, elle se verdit et s’assombrit vite sous la futaie, reflète un feuillage à peine aéré tout au fond de l’eau par un sentier de ciel, resplendit à nouveau aux clairières, s’arrondit de plus en plus en bassins à chaque tournant. Imaginez la forêt de Fontainebleau traversée par une rivière. Cette rivière s’élargit vite, découvre des grèves aux heures des marées descendantes, coule entre des rivages fortifiés de rochers, dominés de bois de pins et de massifs de châtaigniers. Après un arrêt à Saint-Maurice, où l’on passe devant un château du xviiie siècle, reflété par un étang, où l’on visite les ruines de l’abbaye de Saint-Maurice, enclavée dans les bâtiments d’une ferme, le mouvement de la rivière sinueuse continue en balancements de courtes lames. Ces premières vagues élastiques, quelle joie elles semblent donner au bateau qui a suivi paresseusement le fil de l’eau ! On croirait un cheval qui a sommeillé tout au long d’une montée, et qui sent à nouveau l’excitation du fouet et de la voix, et qui devine une belle route devant lui sur laquelle il peut partir d’une course allongée, vive et régulière.

RÉCEPTION À LA PORTE D’UNE MAISON MORTUAIRE, À CONCARNEAU.

Le bateau arrive ainsi, fringant et excité, au Pouldu, qui est bâti à la fois sur la rivière et sur la mer. Le Pouldu est un hameau de bon repos pour ceux qui ont construit des villas sur la côte, et qui ont entouré de murs leurs jardins plantés de figuiers. Le bord de la mer est dessiné par des haies touffues