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vice délivrée par le cabinet de Saint-James ; les soldats, émigrés et déserteurs, étaient revêtus de l’uniforme anglais. Cette flotte parut dans la baie le 25 juin, mais par suite de dissentiments dans le commandement, le débarquement n’eut lieu que le 27, sur la plage de Carnac, aux cris de « Vive le Roi ! » Les chouans de Tinteniac et de Cadoudal occupaient le pays. L’effectif de l’armée fut, après jonction, de quatorze mille hommes. Le comte d’Artois, d’ailleurs absent, fut proclamé roi de France sous le nom de Louis XVIII, prenant ainsi la place de son frère, le comte de Provence. Pendant ce temps, les navires anglais ouvraient le feu sur le fort Penthièvre, défendu seulement par un détachement sous les ordres du commandant Delise, bientôt obligé de capituler ; le drapeau blanc et le drapeau anglais furent hissés sur les remparts.

Ce fut alors que Hoche, qui commandait l’armée des Côtes-du-Nord, s’avança, renforcé de la division Lemoine venue de Nantes. Les républicains prenaient l’offensive le 3 juillet, s’emparaient de Sainte-Barbe, à l’entrée de la presqu’île, d’où ils délogeaient Cadoudal, et refoulaient vers la chaussée de Quiberon les chouans, qui se précipitaient au fort Penthièvre. Hoche était logé au hameau de Lenneiz, en avant de Sainte-Barbe. Là, il arrêta les émigrés et se lança sur le fort Penthièvre, que le comte de Sombreuil tenta vainement de protéger. Le fort pris, Anglais et émigrés essayèrent, sous la mitraille des républicains, de rejoindre les navires sur les chaloupes. Ceux qui échappaient aux balles se noyaient. Puisaye, désertant son poste, avait pu rejoindre le navire du commodore Waren, chef de l’expédition, pour mettre, a-t-il dit, sa correspondance à l’abri. Ce fut, dit-on, à ce moment de massacre et de panique que quelques soldats de Hoche crièrent aux émigrés : « Rendez-vous, on ne vous fera rien. » Et cette assertion a suffi pour que Hoche fût accusé par les historiens royalistes d’avoir promis la vie sauve à ceux qui capituleraient. Un autre historien, qui ne peut être suspect, Thiers, a écrit à ce sujet : « Hoche ne pouvait offrir une capitulation ; il connaissait trop bien les lois contre les émigrés pour oser s’engager, et il était incapable de promettre ce qu’il ne pouvait tenir. » Il se hâta, le 3 août, de démentir le fait. Sombreuil, du reste, rendit son épée sans invoquer aucune clause de ce genre. D’autres se percèrent de leurs armes, d’autres se jetèrent à l’eau pour atteindre les barques, déjà trop chargées, et dont les occupants, craignant de chavirer, leur coupaient les mains à coups de sabre (Thiers). La capitulation eut lieu le 21 juillet 1795. L’armée royale avait perdu 192 officiers et 1 200 hommes ; 1 800 émigrés et chouans rejoignirent la flotte. Pour l’exécution des prisonniers, Hoche n’y pouvait rien. Il n’était qu’un soldat soumis à la loi de ce temps terrible. Il avait fait son devoir de chef, et le reproche ne pèse pas sur sa mémoire. Il est donc de toute justice que sa statue ait été dressée à Quiberon, sur la petite place de la ville, le 20 juillet 1902. Son sculpteur fut Dalou. Le général est représenté debout, les deux mains appuyées sur la poignée de son sabre. Il est vêtu de l’habit des généraux de la première République. Le visage a la douceur, l’énergie, la gravité. Ce n’est pas là un fanatique de guerre civile, c’est un soldat serviteur de la France contre les étrangers envahisseurs, serviteur de la République contre les émigrés alliés des Anglais.


(À suivre.) Gustave Geffroy.



AURAY. LA CHAPELLE DU CHAMP DES MARTYRS.