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ou Table des Marchands, sous lequel est placée une pierre en forme d’autel. C’est le Mané-er-H’roeck, ou montagne de la Fée, tumulus qui contient un dolmen, auquel on parvient par un sentier de menhirs. Certains de ces monuments, la Table des Marchands, la montagne de la Cendre, la montagne de la Fée et aussi le dolmen de Kervress, présentent des ornementations et des signes dont on n’a pu jusqu’à présent établir le sens, et qui resteront probablement indéchiffrables. On croit avoir vu, sur une dalle du Mané-Lud, une sculpture, aujourd’hui presque effacée, de la hache symbolique, symbole de la vie brisée. Il en est de même avec le dolmen des Marchands. Des objets ont été trouvés dans les tumulus et sont exposés au musée de Vannes.

Il reste un autre point d’interrogation. Ces monuments sont-ils celtiques et druidiques, ou datent-ils d’époques antérieures ? Dans le doute, on leur a donné le nom de mégalithiques, ou grandes pierres. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils s’accordent avec la nature environnante, qu’ils font partie de cette âpre contrée, de ces landes sur lesquelles court le vent de la mer, de ces côtes d’où l’on domine la mer semée d’îles. Ces menhirs, ces dolmens, ce sont des rochers de plus dans le paysage, des rochers singuliers où l’on voit une intention humaine.

L’AUTEL DE LA TABLE DES MARCHANDS À LOCMARIAQUER.

Le grand rendez-vous de toutes ces pierres est à Carnac. Le bourg est très plaisant, avec son église au joli campanile, aux sculptures en lacets aboutissant à une couronne surmontée d’une croix, ses peintures reproduisant des épisodes de la vie de saint Cornély, patron des bœufs. Mais il faut tout laisser pour les alignements célèbres. Il y en a trois sur un espace de 8 kilomètres : Kerlescan, Kermario et le Ménec. Les alignements de Kerlescan sont au nombre de treize, et se composent de deux cent soixante-deux menhirs, dont quelques-uns de haute taille. À Kermario, dix alignements et huit cent cinquante-cinq menhirs, en comprenant les pierres de clôture. Enfin, les onze alignements du Menec se composent de huit cent soixante-quatorze menhirs, soit près de deux mille pierres. Il est certain, à voir la carte ou le pays à vol d’oiseau, que ces trois séries d’alignements n’en formaient qu’une et qu’il y a des solutions de continuité. Tout le pays est plein de débris : les pierres, sacrées ou non, ont été employées pour marquer la clôture des champs, pour empierrer les routes. Un témoignage du xvie siècle indique de douze à quinze mille menhirs. Cette étendue rase, où se voit çà et là une tache blanche de maisons, où les arbres sont rares et minuscules, doit être vue du haut du tumulus sur lequel est bâtie la chapelle Saint-Michel. Au sud, c’est la mer, la baie de Quiberon, le roc de la Teignouse, les îles d’Houat et d’Hædik, Belle-Île-en-Mer. Au nord, c’est le paysage de terre avec les alignements, qui représentent ici un double labeur, puisque à l’érection des pierres vint s’ajouter la préoccupation d’un ensemble. Toutes ces allées ont-elles été couvertes, ou devaient-elles l’être ? Nos ancêtres voulaient-ils bâtir ici une ville faite de couloirs ? Est-ce là un temple, un cimetière ? Cherchez, rêvez, puis partez sans avoir trouvé la solution. Les pierres continuent à processionner. Le soir, on croirait voir des files de moines s’en allant vers un but mystérieux. Les uns sont droits et grands, d’autres voûtés, bossus, nains. Les uns semblent courir, d’autres se traîner à peine. Et voici ma solution : ces pierres sont là pour créer un paysage d’imagination. Voyez-le aux heures grises de l’hiver, sous un ciel bas tout en larmes, vous en emporterez une impression ineffaçable.

À Plouharnel, tout près de Carnac, l’hôtelier d’un très bon hôtel a installé un musée fort bien organisé et fort bien tenu, et l’on peut y passer une heure à se croire, si ce n’étaient les vitrines, dans l’intérieur d’un tumulus. Le difficile, c’est de rattacher ces objets aux monuments mégalithiques : on peut se trouver, ici, devant plusieurs périodes superposées.

Mais me voici engagé sur la chaussée de Quiberon, et les vagues, qui la battent de chaque côté, me font oublier les pierres. Il y en a encore à voir, de ces pierres druidiques ou mégalithiques : je les verrai au