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LA FORÊT DE CAMORS.

les coups de canons et d’arquebuses, la chute des mâts et des voiles. Ce sont des cantiques, des airs de clairons, des roulements de tambours. Voici quelques paroles des cantiques alors recueillis :

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Chers pèlerins, chantons en chœur :

Vive sainte Anne en notre cœur !

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Qu’elle sauve notre patrie !

Pauvre France, dans ton malheur
Invoque sainte Anne et Marie !

On chante aussi en breton : « Itrone santes Anna… Madame sainte Anne… » La foule occupe le champ de l’Épine, autour de la basilique et de la fontaine. La statue de la sainte se dresse, gigantesque, toute reluisante d’or, et l’effet est singulier de ce temple luxueux, dressé dans ce pauvre pays de landes. Il y a peut-être dix mille pèlerins réunis, égrenant leur chapelet, s’agenouillant, pendant que les évêques violets, mitrés d’or, se dressent, font étinceler l’ostensoir, bénissent les pauvres gens. Après, ce sont les réjouissances, le manger et le boire, autour des tables installées en plein air, l’animation d’une foire ou d’une kermesse, avec des détails tout aussi réalistes que sur les toiles des artistes flamands. Tout le monde boit, rit, crie, chante à la fois. Tous les costumes bretons sont rassemblés. Toutes les coiffes, en forme de clocher, de bonnets, les bouffantes, les aplaties, celles qui s’accompagnent de larges cols, celles qui sont rondes et plates comme des hosties. Les chapeaux aux larges bords, et les petits chapeaux tout ronds, à bords étroits, les larges braies, la veste courte, les gilets de couleur à petits boutons, les lourds bâtons. Ils chantent encore : Me gous a santès Anna, trihart léane doh Alré — Santellan plass zou à braih, à tout en ur Hontré. (L’histoire de Madame sainte Anne, à trois quarts de lieues d’Auray ; — Une terre plus sainte n’est pas dans toute la Bretagne.)

Les mendiants recommencent mille fois leur supplique traînante. Les estropiés exhibent les moignons de leurs jambes ou de leurs bras, les malades exhibent leurs plaies, leurs tumeurs, leurs cancers, leurs gangrènes. Ceux-là n’ont pas encore été guéris par sainte Anne, mais ils reviendront l’année prochaine. En attendant, ils récoltent des pièces de monnaie, et ils boivent comme les bien portants. Ce soir, ils rouleront