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et qui ont de délicats profils, les yeux fins, le front intelligent. Et en voici d’autres, et d’autres encore, et des femmes, et des hommes. Tout le monde, sans doute, sort de la messe, et cette humanité en marche et en causerie réchauffe soudain le paysage qui me paraissait si désolé. Les jeunes sont bien vêtues, comme toutes les paysannes qui sortent leurs beaux atours des vieilles armoires. Celles-ci ont des corsages brodés, des petits châles, des tabliers à poches de velours, des manches larges bordées de velours, des chaînes de montre au col, et des coiffes avec un ruban d’attache sur le côté.

LE VILLAGE DE ROCHEFORT-EN-TERRE EST TRISTE, MORNE, À S’ENFUIR…

Hors de Rochefort-en-Terre, je connais enfin les landes de Lanvaux, dont l’étendue sur la carte m’avait toujours impressionné. C’est la continuation du Sillon de Bretagne, au delà de la Vilaine. Leur tracé à une direction sensiblement parallèle à la côte, se développe sur une longueur de 60 kilomètres, avec une largeur moyenne de 4 kilomètres. L’altitude varie entre 80 et 160 mètres. Cette lande était jadis enclavée dans une immense forêt qui occupait une grande partie de l’intérieur de la Bretagne, et dont il reste encore de nombreux fragments dans les environs : la forêt de Malac, les bois de Coëby, de Hanvaux, de Kerfity, de Saint-Bily, dans la partie orientale ; ceux de Treulan, de Boségalo, de Lanvaux, de Floranges et enfin la forêt de Camors, dans la partie occidentale.

Elle est traversée par de nombreuses routes et par la ligne de chemin de fer de Vannes à Ploërmel, bifurquée à Questembert. Mais aucun chemin n’y est tracé dans la longueur. Il faut aller au hasard par cette étendue rocheuse où se dresse de temps à autre un arbre rude, ou bien un moulin dont on entend le grincement d’ailes dans le silence de la solitude. Les ajoncs poussent parmi les débris de pierres. C’est un océan de verdure basse et sombre qui semble déferler jusqu’à l’horizon. C’est la sauvagerie d’une nature pauvre livrée à elle-même. C’est le désert. Je ne crois pas qu’il y ait d’endroit au monde, avec certains coins des montagnes d’Arrée, où l’on puisse se trouver plus seul, livré à ses seules pensées, devant cette immensité hostile. Il n’est pas de plus violent et de plus terrible décor pour la mélancolie humaine. La terre pierreuse est ici méchante, se refuse à l’homme, le convie à un combat inégal. Le sol de la planète se montre ravagé, presque net, garni de végétaux armés de griffes ; mais si la vanité de nos efforts et la puérilité de nos pratiques civilisatrices peut traverser notre songerie, aux moments où nous marchons ainsi, droit devant nous, parmi ces pierres, le souvenir des villes a tout de même quelque chose de réconfortant et de douillet, qui nous donne, malgré tous les désenchantements, une sorte d’orgueil de nos travaux, une joie d’avoir