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au fond desquelles on aperçoit tout à coup quelque bastion du système Vauban, mais les portes, les tours, les revêtements à mâchicoulis datent des xive et xve siècles. C’est dans l’une de ces tours, dite du Connétable, que passe pour avoir été enfermé Olivier de Clisson, en 1387, lorsqu’il fut soupçonné de négocier avec l’Angleterre, mais c’est une erreur de tradition : Clissson a été enfermé dans un donjon du château de l’Hermine, résidence des ducs, qui s’élevait entre la porte Saint-Paterne et la porte Saint-Vincent. Dans ces rues qui avoisinent la Cathédrale, rues des Chanoines, des Orfèvres, des Vierges, dans cet étroit espace qui contient l’ancien Hôtel de Ville, le Musée et la Bibliothèque, la Halle aux poissons, la cellule de saint Vincent Ferrier, ce sont les maisons aux pignons vermoulus, aux sculptures caricaturales, aux vastes toits en pentes, aux façades rapiécées, aux équilibres instables. Toute cette ville s’affaisse et va de travers, atteinte du mal de vieillesse. Quand il pleut là-dessus, que le ciel est gris, que les ardoises reluisent, que l’eau glougloute par tous les tuyaux, tombe de toutes les gouttières, grossit les ruisseaux, et que l’on regarde ce spectacle morne par quelque fenêtre à petits carreaux, c’est à se croire perdu à jamais, non seulement dans l’espace, mais dans le temps. Ce n’est pas possible, on n’est pas venu ici par le chemin de fer ou par la route nationale, on ne peut pas envoyer de ses nouvelles par le télégraphe ou par la poste. Il pleuvra toujours, et jamais l’on ne sortira de ces rues étroites et de ces maisons noires… Mais si ! quelques pas hors des fortifications, et voilà une ville neuve collée à l’ancienne, une ville moderne, où il y a toutes les représentations de la vie publique, toutes les institutions d’enseignement, tous les secours et toutes les pénalités : le collège Saint-François-Xavier, l’Évêché, la Halle aux grains, le Palais de Justice, l’Hôtel-Dieu, le champ de foire, l’Hôtel de Ville, l’École nationale d’instituteurs, la Maison centrale de détention, l’Abattoir, le Cimetière, l’Hôpital général, la Caserne, la Gare. Songez à tout ce que représentent ces mots, et vous vous ferez une idée du nouvel organisme complet, régi par les lois d’une société nouvelle, administré par une armée de fonctionnaires, qui est venu s’ajouter au vieil organisme de Vannes.

ABSIDE DE LA CATHÉDRALE DE VANNES.

La nouvelle ville n’est pas bien belle, sans doute, et il n’est guère besoin de voir toutes ces bâtisses utiles pour apprendre qu’elles ne représentent leurs fonctions que par des apparences sans beauté, mais il faut reconnaître, malgré tout l’attrait du pittoresque, qu’il y a là des rues droites, — trop droites, soit, — des avenues larges, — trop géométriques, c’est certain, — mais qui prodiguent à leurs habitants l’air et la lumière mieux que les rues étroites, les carrefours sombres, les venelles escarpées, qui entourent la Cathédrale.

Telle est, à l’heure actuelle, la capitale de ces hardis Venètes qui osèrent affronter le pouvoir romain, et qui ont peut être conquis l’Adriatique et fondé Venise. Vannes fut dévastée au ixe siècle à deux reprises par les Normands, fut un enjeu de la guerre de Succession, fut disputée à Charles VIII par Anne de Bretagne, et la dispute finit par le mariage du roi et de la duchesse, en 1491 : mais ce ne fut qu’après le second mariage d’Anne, avec Louis XII, et après la mort de ce dernier, en 1532, sous François Ier, que le pacte de réunion à la France fut signé à Vannes, dans la salle devenue le Théâtre, devant les États et le roi, qui avait fait le voyage pour cette acquisition définitive. L’histoire de la ville ne redevient ensuite agitée que pendant les guerres civiles de la Révolution. C’est là que nombre des prisonniers de Quiberon furent condamnés à mort et fusillés : 21, au lieu dit la Garenne, ombragé de beaux arbres, et 150 à la baie de Larmor.

Au Musée, il y a un Christ de Delacroix. Dans la Bibliothèque, il y a dix mille volumes. Le Musée archéologique abonde en richesses recueillies dans les tumulus et tombelles du département. Toutefois, il n’expose pas que des objets préhistoriques, armes en silex, pointes de flèches, et des objets celtiques, poteries et monnaies. Il contient des collections d’objets gallo-romains, et même des vases, lampes, statuettes de la Grèce, et toute une série d’œuvres du Moyen Âge et de la Renaissance. La maison du Parlement, rue Noé, a des panneaux peints et des sculptures en bois du xvie siècle, mais le seul monument remarquable est la cathédrale Saint-Pierre, malgré sa forme composite, qui va du xiiie au xviiie siècle. Il y a de belles parties : la tour ogivale de gauche, le portail nord, du style de la Renaissance, l’abside. La chapelle de saint Vincent Ferrier, moine espagnol, qui vint à Vannes en 1418, est de style jésuite, compliqué et surchargé : portiques, pyramides, niches, statues, marbres de couleur.

Si ce Vincent Ferrier vint à Vannes avec l’intention d’y passer seulement quelque temps, sur la prière de Jean V, il fut déçu au moment de s’embarquer pour continuer son voyage. Lorsqu’il voulut partir, le sable