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plus de calme, de silence de mort, que je ne croyais. Savenay, dans la belle vallée, sur la douce colline, a l’aspect intérieur plus renfrogné que Guérande, bouclée sous sa ceinture de granit. C’est une surprise, au soir, lorsque l’on monte en ville, d’arriver par les pentes douces, à travers la claire verdure, dans ces rues mortes, bordées de maisons spectrales. Du moins, ce soir-là, ce fut la physionomie de Savenay. Peut-être la vieille ville bretonne connaît-elle des jours de fête où ses bâtisses sont recrépies et pavoisées, où une population en rumeur de joie circule par les chaussées. C’est possible, mais rien ne paraît plus opposé à son caractère, et il me semble l’avoir bien vue à l’heure qui lui convenait, avec la physionomie qu’elle doit avoir.

Ce n’est pas une ruine avec une carcasse solide et des blessures formidables. On ne voit pas, tout d’abord, de quel mal meurt Savenay. C’est d’une maladie de langueur, non apparente, très douce, qui la mine sourdement, et contre laquelle les ordonnances des médecins administratifs seraient impuissantes. La mort lui vient, sans doute, de ce grand fleuve qui passe à son horizon, de cette embouchure de Loire vaste et profonde qui reçoit les hauts navires, de ce riche et léger Saint-Nazaire qui enregistre les arrivées et les départs de ses paquebots, et qui frétille de tous ses pavillons et de toutes ses banderoles sous la brise du large. Il a bien fallu obéir à la force des choses, à la loi du sol, aux courants d’existence, et Savenay a dû être dépossédé de son rôle départemental au profit de la ville qui commande l’océan et le fleuve. La vie s’en va lentement, et l’on a, sur la hauteur, l’impression d’un ancien promontoire abandonné par les flots, d’un îlot en désuétude où nul n’aborde plus. Personne sur la promenade qui tourne autour de la ville. Personne sur les bancs inutiles abrités par des haies. C’est une tranquille ascension dans la solitude, c’est tout le silence et tout le repos désirables pour admirer l’étendue des champs, la profondeur du ciel, la courbe de la Loire, qui brille en éclats d’argent dans le soir.

En haut, c’est vraiment la surprise. On sort de la lumière de la campagne, de cette belle lumière finissante qui donne un dernier frisson rose et doré aux choses, et, subitement, on entre dans une demi-nuit glauque et poussiéreuse, où tout prend un aspect de mouvement arrêté, d’expression pétrifiée, de temps révolu. On ne voit qu’indistinctement autour de soi, et les pignons de maisons, les silhouettes de gens sur le pas des portes, prennent un aspect tremblant et incertain comme s’ils étaient réverbérés à travers les âges et apparaissaient dans un mirage de cendre et de toile d’araignée. Le bruit est en accord avec cette lumière de crépuscule versée par un soupirail. Aucun bruit de voiture, ni aucun bruit de pas dans les larges rues et les ruelles tournantes. À peine un chuchotement de conversation court-il à ras du sol, un susurrement de paroles siffle-t-il au seuil de certaines boutiques. De temps à autre, le mot : CAFÉ, en grosses lettres, s’aperçoit au-dessus d’une porte. Mais cette porte est close, les rideaux blancs des fenêtres sont soigneusement tirés, mais l’on n’entend aucun tintement de verres, aucun choc de billes de billards. S’il y a des buveurs, ils boivent sinistrement dans l’obscurité, et s’ils jouent au billard, c’est en tâtonnant, avec des billes de coton, qu’ils essaient d’invisibles carambolages.

LA VILAINE À REDON.

Dans cette atmosphère grise et rousse de cave et de puits, tombe le son d’une cloche, d’abord grêle et hésitant, puis plus lourd et régulier, et voici que les maisons et les rues s’animent peu à peu, que des ombres sortent des portes, passent sur les pavés, s’en vont toutes par leur chemin particulier vers le même but qui est l’église.

La ville a ainsi, — son négoce achevé, sa journée finie, — sa distraction du soir, son frisson nerveux et machinal d’existence mystique. C’est une nécessité spirituelle, le repos obligé de la vie pratique. Les