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souterrains, des cachots, les débris d’une chapelle. Du haut des courtines, des tours, et par les fenêtres, on voit les cours jonchées de verdure, un if qui pousse à l’endroit où était le puits, et tout un panorama merveilleux traversé par la Sèvre et la Maine, coupé par des ponts de pierre et par un viaduc de 107 mètres. On voit aussi à Clisson le tombeau des frères Cacault, qui reposent au Temple de l’Amitié : ils ont été propriétaires du château, et ce sont leurs collections qui ont fait le premier fonds du Musée de Nantes. Aux alentours, c’est la grotte d’Ossian, la chapelle de Tout-à-la-Joie, le bois Corbeau, les châteaux de la Lande et du Grand-Pin sauvage, le petit bourg de Pallet, pays d’origine d’Abélard, et, près du calvaire, une chapelle où l’enfant d’Abélard et d’Héloïse reçut le baptême et le nom d’Astrolabe.

Par la route, on peut aller au lac de Grandlieu. C’est un long trajet, mais on est payé de sa peine par la vue d’une belle nappe d’eau, qui s’étend sur une surface de sept mille hectares, et qui a neuf kilomètres de long sur sept de large, petite mer intérieure, qui occupe la place d’une ville engloutie. Mais c’est en chemin de fer que je vais à Machecoul, ancienne place forte fondée au ixe siècle, capitale du duché de Rais ; c’est là que fut arrêté le terrible maréchal, ancien compagnon de Jeanne d’Arc, tombé dans le délire de la sensualité et de la cruauté : il fut pendu et brûlé à Nantes en 1440. La ville fut démantelée sous Louis XIV ; ce qui restait du château disparut à peu près complètement, pendant les guerres de Vendée, et l’on n’en voit plus aujourd’hui que des débris couverts de lierre, en face d’une allée.

De là, en une dizaine de kilomètres par route, on arrive à Bourgneuf-en-Retz, autrefois un port et aujourd’hui à plusieurs kilomètres de la mer ; on y exploite des marais salants. En suivant le chenal du Collet, on parvient à la baie de Bourgneuf, formée par la pointe de Saint-Gildas, au nord-ouest, et la presqu’île de Noirmoutier au sud-ouest. Elle dessine une série de petites anses très propices aux stations balnéaires, parmi lesquelles Pornic et Pornichet. Les riches Nantais y viennent régulièrement, les caprices de la mode y attirent parfois les gens de Paris et d’ailleurs. Le bourg, dominé par la pointe d’un fin clocher, s’étend au long du canal de la Haute-Perche, au milieu d’escarpements fort pittoresques. Pornic et Pornichet sont des stations de bains selon le cœur des habitants des villes en vacances. Pendant trois mois de l’année, une population campe ici, au bord de la plage de sable, dans les chalets construits sur les mamelons plantés d’arbres verts. Toute cette verdure de sapins, échauffée par le soleil, dégage un arôme résineux, un parfum brûlant qui envahit le voyageur. Il semble que tout vienne d’être tiré d’un coffre gigantesque et déposé sur le sable, tant cela, vu d’ensemble, a l’air d’une réunion de jouets neufs, peints et vernissés. Plus on regarde, plus on en découvre. On se figure assister à un accroissement visible, à une multiplication immédiate. Une légère ville, ayant une existence annuelle de trois mois, se trouve ici construite, apportée toute faite comme les maisonnettes d’expositions universelles, les bâtisses norvégiennes, ou sortie du sol, au coup de sifflet d’un changement à vue, par un miracle de rapidité humaine.

GUÉRANDE. LA CHAIRE À PRÊCHER, SUR LA FAÇADE DE L’ÉGLISE.

Il est certain que cet air est salubre, que ce parfum d’arbres est délicieux à ceux qui ont absorbé pendant toute l’année la fumée et le brouillard des cités industrielles. Tout de même, on refait une agglomération humaine, sous le prétexte de solitude et de repos. L’espace énorme finit par se rapetisser singulièrement, ainsi divisé en cases mitoyennes, et l’existence reprend vite, dans ce mélange humain, ses exigences de décorum. La mode du vêtement élégant et de l’habitude mondaine finit par s’imposer, et l’on ne rencontre que familles tirées à quatre épingles, pourvues de tous les agréments de la toilette, et allant cérémonieusement se rendre des visites, de chalet à chalet, de boîte à boîte.

Cette promiscuité, tout naturellement, se continue au bord de la mer, et jusque dans l’eau. Chacun a sa vague, et il lui serait bien difficile de se baigner dans la vague d’à côté sans y rencontrer un voisin. C’est une humanité qui apporte avec elle ses entours. Elle vient se mouiller et se sécher, méthodiquement, puis elle reprend le train pour Nantes, pour Angers, pour Rennes ou pour Paris. Aussi, quel désœuvrement,