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le quai de la Fosse que roulent les tramways, et aucun véhicule ne se montre ici. Paris, alors, apparaît sur tout dans le souvenir comme la ville des fiacres.

Cette rue Crébillon, qui va de la place Graslin à la place Royale, est la belle rue, la rue à boutiques. On y admire les étalages, on s’y donne les nouvelles, et se promener là, tous les soirs, à la même heure, cela s’appelle crébillonner. Plus bas, vers le quai de la Fosse, si actif pendant les heures du jour, il est tout un dédale de rues et de ruelles désertes et mortes, tout un quartier qui prend, la nuit, un aspect mystérieux de ville du Moyen Âge. Pas une fenêtre éclairée, pas une silhouette de passant, et il est à peine neuf heures du soir. L’ombre des lanternes se découpe sur le pavé en forme de toiles d’araignées bougeantes, et c’est tout le mouvement, toute la vie de la rue. Pourtant, voici une femme en coiffe blanche qui passe à grand bruit de sabots, et qui chante avec une voix de cantique. Elle disparaît sous une porte comme si elle rentrait dans la coulisse, et c’est l’absolu silence revenu.

Cette voix, cette coiffe, c’est la preuve de la Bretagne. Sans cela, on n’aurait guère, à l’arrivée, que l’impression du déjà vu, on évoquerait le souvenir de Rouen, de Bordeaux, de toutes les villes traversées par un fleuve qui crée une animation presque perpétuelle. Mais la masse sombre du Château modifie aussi cette sensation. Une tour trapue, énorme, se dresse au-dessus de la chaussée bordée de peupliers fluets, au feuillage maladif. Le Château fait songer à l’histoire de la ville, capitale des Namnètes, conquise par les Romains, évangélisée par saint Clair, affranchie au ve siècle, promue capitale du comté Nantais et du duché de Bretagne. Invasions de barbares, conquête par Clotaire Ier, occupation par les armées de Charlemagne, proclamation du roi Noménoé, envahissement des Normands chassés par Alain Barbe-Torte et par Geoffroy, comte de Rennes, victoire du duc de Normandie sur Jean de Montfort, siège par Buckingham, délivrance par Olivier de Clisson, exécution du maréchal Gilles de Rais, mariage de Charles VIII avec la duchesse Anne, ce sont quelques-uns des faits principaux de la première partie de l’histoire de Nantes. Puis, les guerres de religion après l’introduction du calvinisme en 1558, le parti de la Ligue résistant avec Mercœur à Henri IV, dont l’autorité est reconnue en 1598. C’est à Nantes qu’est exécuté Chalais, conspirateur contre Richelieu. C’est à Nantes que le surintendant Fouquet est arrêté par ordre de Louis XIV. Bien que ralliée à la Révolution et repoussant, en 1793, l’attaque des Vendéens de Cathelineau, la ville souffre cruellement sous la Terreur, et le nom de Carrier évoque les noyades, les « mariages républicains », les bateaux à soupapes, la guillotine, les fusillades, les violences soumises à l’enquête d’un envoyé de Robespierre, qui fait cesser la boucherie et révoque le féroce commissaire de la Convention. Ce n’était pas terminé toutefois, et Charette, qui avait repris les armes après avoir consenti à traiter, est fusillé place de Viarmes : on voit là, dans un étroit renfoncement, une croix de pierre sur un piédestal. Quels événements encore ? Une émeute en 1830, l’arrestation de la duchesse de Berry en 1832. Quels personnages sont nés à Nantes ? Ils sont nombreux. La duchesse Anne d’abord. Des artistes : Charles Errard, Germain Boffrand, Ducommun du Locle, Debay, Jules Dupré, Toulmouche, Delaunay, Luminais. Des écrivains : Élisa Mercœur, Mélanie Waldor, Charles Monselet, Jules Verne. Des militaires : Cambronne, Bedeau, Lamoricière, Mellinet. Une femme savante et philosophe : Clémence Royer.

TOMBEAU DE FRANÇOIS II, DUC DE BRETAGNE, ŒUVRE DE MICHEL COLOMB, DANS LA CATHÉDRALE DE NANTES.

Une ville est un être vivant, en perpétuelle transformation, dont la descente et l’ascension sont nettement visibles. Nantes est toujours une cité vivante, et il n’y a qu’à se promener au long des quais de la Loire pour connaître son activité commerciale. Les noms des bateaux, les pavillons, les transports de marchandises, tout parle de voyage, de la poésie aventureuse des longs parcours. Le mouvement, toutefois, a bien diminué, et le port n’est plus classé au premier rang dans le trafic maritime, comme il le fut au milieu