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Quand on arrive dans la grande baie, au fond de laquelle est situé Fou-san, on hésite à se croire encore en Corée, tellement les Japonais ont établi solidement leur influence dans ce point stratégique d’où une puissance étrangère pourrait menacer leur indépendance. Leur souveraineté est absolue dans la concession qui leur a été jadis accordée ; ils étendent sans cesse leur territoire et en éloignent jalousement les étrangers à qui ils refusent le droit de posséder la plus mince parcelle de terrain. L’arrivée d’un bateau de guerre européen provoque leur susceptibilité d’une façon exagérée, et je me rappelle encore, lors de mon débarquement, avoir été suivi par un policier japonais, qui chercha à entrer en conversation avec moi, me posa quelques questions indiscrètes sur le but de notre voyage, se livra à des considérations diplomatiques sur la Russie et le Japon et s’empressa, — comme je l’avais deviné, — d’aller rapporter mes réponses au gouverneur.

La population japonaise s’élève à quinze cents habitants qui font le commerce de détail, achètent du riz, des haricots, des peaux de bœufs, de la poudre d’or et importent des cotonnades, des allumettes, de la bière, du charbon et des soieries.

Mais le Gouvernement du Mikado considère plutôt Fou-san comme une porte d’entrée en Corée et non comme un centre commercial, Des ingénieurs japonais ont obtenu une concession de chemin de fer pour relier Fou-san à Séoul et, jusqu’ici, il ne leur a manqué que les capitaux pour mettre leurs projets à exécution.

La concession chinoise sépare les Japonais des Coréens établis dans une ancienne ville murée, aux remparts délabrés, aux masures misérables. Le Coréen du Sud est aussi paresseux que celui de l’Ouest ou du Centre ; il laisse incultes des terres qui paraissent fertiles, se contente de peu et trouve à satisfaire ses modestes besoins en s’employant comme humble serviteur chez les résidants japonais. Mais, peu à peu, il se sent débordé par les envahisseurs venant du pays du Soleil levant et son patriotisme n’est pas assez vif pour résister à cette infiltration étrangère ; les intérêts de la masse populaire ne sont pas suffisamment ménagés par l’oligarchie au pouvoir pour qu’elle fasse bloc, au jour du danger, contre l’ennemi qui menace sa liberté et, dans un délai plus ou moins bref, viendra imposer sa domination par la supériorité des armes.

Ce serait regrettable pour les intérêts français si ces éventualités se réalisaient : notre influence ne peut se développer qu’à la condition que la Corée reste en dehors des complications diplomatiques, conserve son indépendance à l’abri du pavillon à la virgule bleue et rouge et ne subisse le protectorat égoïste et intéressé d’aucune puissance extérieure.


Dr A. Hagen.


SÉOUL : À LA PORTE DU VIEUX PALAIS, FACTIONNAIRES ET PASSANTS. — DESSIN DE SLOM.