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les provinces les plus reculées de la péninsule, vivant en contact intime avec des populations qui n’ont jamais vu d’autres Européens, et parlant avec facilité la langue du pays. Ils appartiennent à l’œuvre des Missions étrangères qui leur laisse leur initiative personnelle, leur permet de diriger leur propagande avec les moyens qu’ils considèrent les meilleurs et leur demande seulement de rendre compte de leurs actes à l’évêque de Corée, en résidence à Séoul. Leur influence grandit chaque jour ; depuis le traité de 1887, le chiffre de leurs adeptes, stationnaire auparavant, s’élève à 40 000 environ, et ils commencent à compter des chrétiens de père en fils ; la France ne doit pas rester indifférente à leurs travaux, et l’on peut dire qu’un Coréen converti est déjà un candidat à la civilisation occidentale et un ami du pays de son éducateur. À mesure que l’exploitation de la presqu’île se développera, on rencontrera, épars çà et là, des groupements catholiques accueillant avec sympathie les étrangers et surtout les Français ; ce seront autant de noyaux de civilisation autour desquels se formeront des villages, imbus de nos idées et dégagés des préjugés orientaux.

Cet ordre possède un orphelinat dirigé par des sœurs, et un séminaire qui prépare à l’apostolat de jeunes Coréens.

MAÎTRE D’ÉCOLE AU MILIEU DE SES PETITES ÉLÈVES. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le palais épiscopal se compose d’une série de bâtiments confortables, adjacents à une cathédrale qui a coûté plusieurs centaines de mille francs, se distingue par son architecture aux lignes sévères, son parquet en mosaïque et n’est dépassée comme magnificence par aucun monument de Séoul, à l’exception peut-être de la légation de France. Toutes ces constructions sont situées sur une colline très élevée, du haut de laquelle nous pûmes avoir notre première vue générale de la capitale.

Cette vue d’ensemble est assez originale et reste dans la mémoire du voyageur ; Séoul est bâtie au fond d’un cirque surplombé par des montagnes très élevées, couvertes de forêts et de cultures ; cette situation n’est pas très conforme aux règles de la stratégie, et il suffirait de quelques batteries, placées sur ces hauteurs, pour tenir la capitale en respect et la détruire de fond en comble, en cas de résistance. De petits monticules sont disséminés dans ce cirque, et par suite, il y a des quartiers hauts et des quartiers bas : c’est, comme Rome, la ville des sept collines, et une promenade à pied est très fatigante ; les faubourgs apparaissent avec leurs masures délabrées et sont reliés entre eux par un tramway électrique exploité par les Américains. Ce tramway faillit provoquer une émeute dans les premiers jours de sa mise en service ; le wattman eut la malchance d’écraser deux Coréens.

Le quartier des légations, avec ses constructions de style différent, est intéressant ; chaque bâtiment est entouré d’un jardin et souvent d’un pare pour le lawn-tennis ; ces palais semblent confortables ; l’habitation du chargé d’affaires de France est la plus élégante. Notre légation vient seulement d’être achevée ; les salons et la salle à manger sont d’une réelle beauté et leur ameublement provient du fameux château de Chenonceaux ; un hall précède les appartements, et un escalier imposant permet l’accès au premier étage.

Au bas du quartier des légations se profilent l’église anglicane, puis le palais actuel de l’empereur qui en a fait sa résidence, depuis l’assassinat de l’impératrice, et se sent plus en sécurité au milieu des Européens.

Plus loin, à gauche, au pied d’une montagne, l’ancien palais des rois coréens, qu’ils ont habité pendant des siècles, et que l’empereur Li-shi a quitté dans la nuit du 7 octobre 1895, pour n’y plus revenir. Nous le visiterons plus tard après avoir obtenu l’autorisation officielle. Il nous apparaît Comme un ensemble de petites maisonnettes, couvertes d’ardoise et bâties dans le style chinois ; des jardins sont tracés dans cet enchevêtrement de bâtiments et viennent aboutir à un parc touffu, désert aujourd’hui. C’était une sorte de ville fermée, qui était peuplée d’environ huit mille personnes vivant d’une vie à part.

Mais les Japonais sont venus, ont imposé à la dynastie une politique nouvelle, ont secoué la léthargie de ce peuple somnolent. Et l’ancien pays mystérieux de « la Rosée du Matin » — exposé aux convoitises du colosse russe et de l’ambitieux Japon — deviendra le théâtre de combats dont son indépendance sera l’enjeu.

Ces réflexions viennent à l’esprit à la vue d’une construction massive qui s’élève lentement sur la plus haute colline du cirque de Séoul ; c’est l’hôtel de la légation Japonaise pour lequel le Gouvernement du