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C’est donc avec une légitime curiosité qu’on met le pied sur le sol coréen ; à côté du Japonais entreprenant et de l’Européen à position assise, bien établie, on peut observer, par contraste, le Coréen dans toute l’originalité de son costume, dans sa paresse native, dans son indolence naturelle qu’aucun désir n’éveille, qu’aucune ambition ne peut secouer.

Les habitants sont généralement d’apparence robuste, à la figure intelligente, aux mouvements lents ; ils fument une pipe longue de 50 centimètres environ et sont vêtus de toile blanche, souvent sale, à larges manches ; leur robe descend jusqu’à mi-jambe, cachant à peine leurs bas blancs ; ils marchent sur des sabots à talons élevés, car seuls les grands dignitaires ont des chaises à porteurs ; leurs cheveux noirs sont arrangés « à la vierge » sur le front, séparés par une raie de milieu et tressés sur la nuque en forme de chignon.

La coiffure est excessivement curieuse : elle diffère suivant l’âge, la situation sociale et permet à l’étranger de reconnaître rapidement la qualité et l’état civil des personnes à qui l’on s’adresse. Le jeune garçon, célibataire, a la tête nue ; le jeune homme, marié sans enfants, porte le chapeau rond, à bords étroits, en paille blanche ; le père de famille a le droit de mettre le véritable chapeau coréen qui, pour lui, est un signe de virilité, comme autrefois la toge pour le citoyen romain. C’est un chapeau en fibres de cocotier, réunies par une trame transparente, de finesse variable, suivant le prix, de 5 à 30 francs, fabriqué à l’île de Quelpaert par les condamnés de droit commun ; il est noir, évasé en tronc de cône et s’attache par des brides sous le menton. Le petit fonctionnaire porte une coiffure qui rappelle le bonnet carré des diacres, le haut fonctionnaire garnit son chapeau d’ailettes, comme celui de l’empereur ; le deuil se reconnaît au vêtement de tissu grossier et au chapeau en paille commune — forme salako annamite — aux bords assez larges pour cacher la figure et même les épaules ; enfin l’armée a le képi européen, recouvrant une petite calotte mince et faite aussi en fibres de cocotier, comme pour maintenir la tradition nationale.

Le vêtement est donc uniformément blanc, ce qui justifie l’appellation de « peuple de fantômes » qu’on donne aux Coréens, quand on les voit marchant à la file indienne sur leurs routes poudreuses en été, neigeuses en hiver.

Chacun, comme je l’ai dit, fume la longue pipe en bambou à cinq nœuds et le tabac récolté en Corée ; cette habitude est pratiquée par la femme, et l’on peut même dire que le Coréen travaille surtout, comme l’Espagnol de Séville, pour avoir de quoi acheter le tabac qui, dans ses spirales bleutées, lui fera oublier les ennuis de l’existence, les procédés rapaces du fisc, l’orgueil blessant du noble autoritaire. Cette passion du tabac est impérieuse, comme chez l’Européen, et grand fut notre étonnement quand, à la fin d’un dîner chez l’évêque de Séoul, nous vîmes les douze ou quinze prêtres présents se diriger vers le râtelier et prendre leur pipe habituelle ; c’est, d’ailleurs, le premier cadeau qu’on fait à un jeune missionnaire arrivant en Corée.

TOUTE UNE CATÉGORIE DE FEMMES CORÉENNES NE SORT QU’EN PALANQUIN. — DESSIN DE DUTRIAC.

J’insiste sur les habitudes précédentes, d’autant plus volontiers qu’elles me permettent de signaler l’intervention maladroite et brutale des Japonais, lorsqu’ils envahirent la Corée, pendant leur guerre avec la Chine. Ils voulurent imposer par la force non seulement leur autorité, mais aussi d’autres coutumes ; les soldats du Mikado reçurent l’ordre de se mettre en faction aux différentes portes de la capitale et de casser les pipes, de couper les chignons et les brides des chapeaux ; des édits furent publiés pour obliger les Coréens à se vêtir de toile bleue.

Disons, en passant, que le Japonais manque de doigté dans ses rapports avec les populations étrangères : il s’efforce aujourd’hui d’être aussi désagréable qu’il eut la réputation d’être poli avant sa transformation tant vantée. Contrairement aux Chinois très tolérants, très respectueux des mœurs d’autrui, il veut