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je regarde les chênes, les hêtres, les pins, les roches, je vois combien la Nature inlassable envahit et recouvre l’Histoire. Je reviens à l’étang traversé par la rivière d’argent, qui file ensuite à travers la verdure, descend en cascades jusqu’à la vallée qui la guide vers l’Aulne où elle disparaît. J’entre au bourg. Je gagne la place où je pense que se tient toujours le marché que j’ai vu si pittoresque autrefois, avec ses grands Bretons maigres, aux grands chapeaux, aux petites vestes, aux culottes de toile bouffantes. Le décor est toujours le même, de maisons anciennes dominées par le clocher de l’église du xvie siècle. Mais j’ai hâte de retourner à Saint-Herbot. C’est là que je conduirais volontiers ceux qui voudraient avoir subitement, en une fois, la vision émotionnante de la Bretagne des terres. Il n’est pas d’endroit plus caché, plus mystérieux, plus tressaillant. C’est l’abandon et la mort des choses, dans un pays sauvage et noir. Il faut s’être trouvé là, seul, avoir vu l’averse continue tomber sur les vieilles pierres, pleurer sur les ruines, pour prendre l’impression profonde d’un tel lieu. C’est vraiment le cœur obscur de la Bretagne ancienne, grave et cachée, qui n’attend pas les touristes, et qu’il faut aborder avec le respect du silence. De Huelgoat à Saint-Herbot, il y a 7 kilomètres et déjà l’aspect sérieux, hautain, du paysage, vous prédispose au spectacle qui vous attend. Je ne sais pas comment la plupart des visiteurs envisagent les choses qui sont là, mais ces choses qui achèvent de mourir ne peuvent avoir qu’une physionomie infiniment douloureuse.

OSSUAIRE DE SAINT-HERBOT.
L’ÉGLISE DE SAINT-HERBOT, OÙ SE TIENT LE PARDON DES BÊTES À CORNES.

La pente, un peu raide pendant 1 kilomètre, traverse une lande où bruissent des sources. On aperçoit, assez loin sur la gauche, le clocher de Plouyé, à droite, le mont Saint-Michel, puis bientôt la tour carrée de Saint-Herbot. L’église est enfermée sur deux côtés par des lignes de maisons basses, à faire croire que l’on pénètre dans une cour de ferme. Tout est ancien et triste, mais tout a l’aspect harmonieux de la nature environnante. Les fûts des arbres plantés près l’église ont la même couleur de granit que les pierres du porche de