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l’île jusqu’à la Trinité, et en passant par Sainte-Marie, le Marigot et le Lorrain, j’arrive, le troisième jour, à la Basse-Pointe. Dans tout ce parcours, j’admire la végétation luxuriante du pays, ainsi que la fertilité d’un sol qui se prêterait à toutes les cultures si le colon, d’un côté, le paysan laborieux, de l’autre, remplaçaient le travailleur médiocre qu’est le nègre. Il est vrai que dans la dernière partie du trajet, je découvre des plantations, de canne à sucre surtout, et plus de bétail que je n’avais cru.

Nulle trace jusqu’ici des ravages du volcan ; mais à la Basse-Pointe le triste tableau recommence. Le village a été détruit par des torrents violents, déterminés par les pluies abondantes qui, au mois de mai, ont suivi les éruptions. Toute végétation ayant disparu sur les flancs de la montagne, les eaux, que rien ne retenait, ont mobilisé les tufs, les conglomérats, les pierres, déraciné les arbres et désagrégé le sol. Ces torrents ont démoli les maisons en charriant des amas de blocs de pierres, de troncs d’arbres, et le lit de la rivière a été remblayé jusqu’à une hauteur de près de 5 mètres, Je vois des maisons dont le toit seul émerge de l’horrible chaos. Sur la côte, l’avalanche a produit des atterrissements importants et étendu le delta ; la baie a été complètement obstruée sur une longueur d’environ 120 mètres, Les habitants du bourg ont pu se sauver, à l’exception d’une femme, qui était malade dans son lit,

Par une route assez difficile, je gagne le village d’Ajoupa-Bouillon, détruit, le 30 août, en même temps que le Morne-Rouge, par une nouvelle et terrible éruption du mont Pelé. Les deux localités et quelques autres du voisinage ont été couvertes en un instant par des projections d’eau et de boue en ébullition, la première recevant en outre quantité de pierres et de cendres chaudes, Cette catastrophe a fait environ mille cinq cents victimes au Morne-Rouge, et quatre cents à Ajoupa-Bouillon. Dans ce dernier village, la partie sud a été épargnée, et quelques habitants, malgré les conseils qu’on ne cesse de leur prodiguer, ont réintégré leurs maisons. J’ai l’occasion de causer avec l’un d’eux, un homme, qui, enfermé dans sa case, a assisté au cataclysme.

Le nuage, composé, d’après lui, de cendres brûlantes et d’eau en ébullition, sans aucun amalgame de pierres, dévala de la montagne avec une rapidité prodigieuse, balayant et broyant tout ce qu’il trouvait sur son passage. Beaucoup de gens furent asphyxiés instantanément, d’autres reçurent d’affreuses blessures dans lesquelles les cendres restaient incrustées. Il y en avait qui n’avaient plus ni nez ni oreilles et, de ces malheureux, plusieurs succombèrent après quelques jours d’atroces souffrances. En parcourant les ruines et en jetant un coup d’œil sur les monceaux de débris, on croit se trouver en présence des effets d’un cyclone. Il y a des maisons réduites complètement en miettes, comme pulvérisées par un marteau-pilon.

Du Morne-Rouge, ce coquet village, qu’aucun touriste autrefois ne manquait d’aller visiter, il ne reste qu’une partie de l’église et quelques habitations.

Avant de regagner le Lorrain, je m’arrête à Assier, où M. Lacroix a établi un second poste pour surveiller le dangereux voisin. L’observatoire principal se trouve près du Fond-Saint-Denis, sur un piton qui domine toute la zone dévastée ; c’est une sorte de réduit casematé, véritable forteresse, dont l’entrée est naturellement située du côté opposé au volcan. On y a vue sur une partie du cratère et la surveillance est sans interruption. Chaque jour, un bulletin est téléphoné à Fort-de-France, où il est affiché et d’où on le communique à toutes les communes de l’île.

VERRERIES FONDUES, TROUVÉES DANS LES RUINES DE SAINT-PIERRE. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Au moment de mon passage à Assier, le poste était placé sous la direction de l’enseigne de vaisseau Le Cerf, lequel eut l’obligeance de m’accompagner dans les environs. Je descends même dans le petit réduit sous terre, dont l’accès est défendu par une porte en briques, très solide, et qui servira de refuge, en cas d’alerte. J’ai encore la chance, à Assier, de voir le cône dépourvu de vapeurs, mais les deux doigts n’y sont plus ; je n’observe qu’un seul immense pain de sucre s’élevant dans l’air.

Les braves gendarmes, soit au Lorrain, soit dans les autres localités où ils m’ont offert l’hospitalité, me