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dans les temps reculés. Partant de ce principe, la disparition d’une ou de plusieurs des îles volcaniques comprises entre Saint-Kitts et Sainte-Lucie serait parfaitement possible.

M. Lacroix a constaté que les fumerolles de la Rivière-Blanche ne se sont pas limitées à la terre ferme, mais qu’elles se prolongeaient dans la mer. C’est sur leur prolongement que des ruptures du câble sous-marin ont eu lieu, à 10 milles environ de la côte, les 5 et 30 mai, ainsi que le 8 juillet. Lorsque le 11 juin, on a relevé le câble, rompu le 30 mai, le goudron de celui-ci coulait en larmes, bien qu’il fût ramené d’une profondeur de 1 200 brasses. Enfin, le matin du 5 mai, avant la catastrophe de l’usine Guérin, une grande quantité de poissons morts a été recueillie à la surface de la mer dans cette direction.

RUINES DE L’ÉGLISE DU FORT, À SAINT-PIERRE, APRÈS L’ÉRUPTION DU 20 MAI. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le commandant du Pouyer-Quertier, employé aux travaux du câble français, parle des mêmes phénomènes calorifiques dans les fonds marins, et signale la relation qui doit exister entre les courants excessifs qu’il a constatés et les manifestations volcaniques de ces mois. À mon retour en Europe, une communication relativement à des sondages faits dans les parages des Açores, pendant la dernière croisière du prince de Monaco, me confirma dans mon appréciation au sujet des bouleversements que le sol marin a dû très probablement subir, même à de grandes distances des Antilles. Les informations fournies par le capitaine Chaves, directeur de l’observatoire de Ponta Delgada (Açores), ne laissent aucun doute sur les perturbations qui se sont produites, et dont les détails ne nous seront révélés peut-être que bien plus tard à la suite de fréquents sondages et de rapports de marins.

Le câble qui relie les îles de Terceira et de Pico s’est brisé le 8 mai, jour du cataclysme de la Martinique, en deux points, distants de 12 milles l’un de l’autre, par 1 512 et 1 418 mètres de profondeur. Une des extrémités portait les traces évidentes de température très élevée.

Indépendamment de ce fait, une autre observation dans l’archipel des Açores ne manque pas d’intérêt. Par un fond de 900 mètres, où la température normale est de 9 degrés environ, on a constaté une température de 13° 1/2.

J’ai visité trois fois le Prêcheur. La dévastation de cette partie de la côte ne provient pas de poussées de gaz, mais elle doit être attribuée à des phénomènes torrentiels et à d’énormes pluies de cendres. On se croirait dans le désert ; à certains endroits le pied s’enfonce comme dans une promenade aux dunes de sable de la mer du Nord. La plupart des maisons de l’ancien village sont écrasées, aplaties ; de-ci, de-là, un matelas, un meuble brisé, apparaît au milieu de l’amoncellement des cendres. J’aperçois un bout de rail du tramway qui reliait le Prêcheur à Saint-Pierre, et qui supporte tout un mobilier brisé.

Une croisée démolie du rez-de-chaussée permet l’entrée de ce qui reste d’une maison effondrée. Je me glisse, non sans peine, dans cette pièce bouleversée et je me rends facilement compte de la précipitation avec laquelle les habitants ont dû fuir. Le plancher, plein de cendres, est couvert d’ustensiles de ménage, de livres de comptabilité, de lettres, de vêtements. Sous un tabouret renversé, je ramasse une statuette, représentant saint Antoine de Padoue.