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LES RUINES DE SAINT-PIERRE, VUES DU CARBET, NE PEUVENT MIEUX SE COMPARER QU’AUX RUINES DE POMPÉI. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

tère, accusait en même temps une augmentation de volume bien marquée. Le 3 mai, des détonations se font entendre et une pluie abondante de cendres effraie la population, qui commence à s’enfuir. Le 5, l’usine Guérin est engloutie sous un torrent de boue et de pierres, échappées du volcan. Cette avalanche franchit plusieurs kilomètres en quelques minutes et détruit tout. Les jours suivants, les détonations augmentent, et l’on voit le feu sortir du cratère. À ce moment même, un savant (!) de Saint-Pierre téléphonait à Fort-de-France qu’il n’y avait rien à craindre.

Le matin du 8, la montagne est effrayante à voir ; elle est toute noire et enveloppée de fumée. Soudain, d’après le récit d’un des rares survivants du navire anglais Roddam, qui se trouvait sur le pont, une détonation formidable se fait entendre en même temps qu’un nuage, dense et noir, dévale de la montagne dans la direction de la ville. Ce nuage est sillonné d’éclairs fulgurants ; en moins de trois minutes il a dépassé Saint-Pierre en s’arrêtant au Carbet. Il brise, détruit les maisons, renverse les arbres, tue en un clin d’œil toute la population, démâte et démolit les navires en rade, coule les petites embarcations et soulève la mer. Tout s’enflamme à la fois : sur dix-huit navires, il n’y en a qu’un seul — le Roddam dont je viens de parler — qui réussit à s’échapper et à gagner Sainte-Lucie. La plus grande partie de l’équipage a été tuée ; les survivants sont atrocement brûlés. Le capitaine, tout meurtri, avait pu surmonter ses souffrances, pour couper la chaîne de l’ancre, saisir le gouvernail et s’esquiver vers la haute mer. On m’a raconté à Sainte-Lucie, que la quantité de cendres couvrant le Roddam a été évaluée à 120 tonnes. Et, au milieu de cette masse, gisaient une dizaine d’amas calcinés, indescriptibles : c’étaient des cadavres.

Le Grappler, vapeur de 1 000 tonnes, au service de la Compagnie des câbles des Antilles et de Panama, brûla et sombra, ainsi que le Roraima, paquebot venu d’Amérique et ayant à bord plusieurs passagers. Tous ceux-ci périrent, à l’exception d’un enfant enfermé dans sa cabine et sauvé, au dernier moment, comme par miracle. Les autres navires subirent le même sort, et la mer était jonchée d’épaves et de cadavres lorsque le croiseur le Suchet put s’approcher de la ville en feu et sauver encore quelques personnes, accrochées à des débris.

L’opinion des savants diffère dans certains détails au point de vue de la composition du nuage destructeur. Ce nuage, d’une puissance incomparable, a dû être constitué essentiellement par de la vapeur d’eau et par des cendres. La vapeur d’eau, en pression au fond du cratère, pression de plusieurs milliers d’atmosphères, a lancé dans l’espace les produits volcaniques qui bouillonnaient dans cet enfer. M. Camille Flam-