Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/7

Cette page n’a pas encore été corrigée

2 LE TOUR DU MONDE.

Culebra, l’arête dorsale de l’isthme sur laquelle vinrent se briser toutes les ardeurs premières, et, pénétré d’avance de la puissance de sa masse, je ne doutais pas de ressentir à sa vue une ironie profonde pour ceux qui avaient cru pouvoir se mesurer avec elle ; je croyais irouver des ruines partout où, il y a vingt ans, vingt mille hommes travaillaient.

C’est en cet état d’esprit que je prenais place dans mon compartiment de chemin de fer pour me rendre à Panama, quelques heures après que le paquebot qui me portait fut entré dans le port de Colon.

Golon est sans intérêt ; simple port de transit, il ne comprend que quelques maisons où sont installés des hôtels — des auberges plutôt —- des boutiques d’objets de première nécessité, où logent les employés du Rail-road et les hommes de toute race employés au déchargement des navires ; quelques habitations plus confortables appartiennent aux agents consulaires et aux agents des Compagnies de navigation française, anglaise et américaine ayant un service régulier. De vastes appontements et voies ferrées bordent la côte, et l’animation des quais est grande à l’heure du travail, car letransit par le Panama Rail-road est considérable et le va-et-vient des trains de marchandises entre les quais et la gare est incessant. La ville de Colon, appelée aussi Aspinwall, du nom d’un financier qu’enrichit la construction du chemin de fer, date du commencement du siècle.

Pendant la période espagnole le transit de Panama à la côte de l’Atlantique aboutissait à Puerto-Bello, qui fut abandonné à cause de son climat malsain : et les navires vinrent charger à l’embouchure du Rio Chagres ; ce port était lui-même si malsain que les Européens iransportèrent leurs comptoirs dans la petite Île de Manzanilla, entre Chagres et Puerto-Bello ; la ville qui se forma rapidement reçutle nom de Colon, en l’honneur du navigateur qui découvrit la baie, en 1502. Bâtie sur un fond vaseux, dans la boue retenue par les racines des palétuviers, des mangliers et des cocotiers, cette ville est elle-même malsaine, mais les Européens y résistent mieux qu’autrefois, les conditions d’existence s’étant beaucoup améliorées avec la possibilité de recevoir d’Europe ou des États-Unis des vivres variés, des médicaments, les lois de l’hygiène étant mieux connues et observées. L’avenir de Colon est à jamais assuré depuis que le Canal interocéanique y aboulit. Le triste aspect des maisons, des rues, la pauvreté et la saleté de la population indigène sont si peu engageants pour le voyageur qu’il ne séjourne pas à Colon, mais à Panama, lorsqu’il a plusieurs jours à attendre le paquebot sur lequel il poursuivra son voyage.

Avant l’établissement de la voie ferrée, une simple route muletière réunissait les deux côtes en passant par le bourg de Matachin. Il fallait plusieurs jours pour la parcourir etle prix était fort élevé ; aujourd’hui, en trois heures, on est commodément transporté de Colon à Panama.

La voie ferrée fut ouverte en 1855, après quinze années d’études dues à l’Américain Bidde, à une époque

où les premières locomotives commençaient à peine à rouler sur les voies ferrées européennes. Les travaux de terrassement, l’endi-

guage des quelques tor-

rents, la percée de ces

forêts marécageuses

sous une température

chaude et humide, coû-

tèrent beaucoup de vies

humaines et de millions :

500 000 francs par kilo-

mètre, cinq fois Île prix

du kilomètre aux États-

Unis. Mais l’importance

de cette voie de com-

munication est telle que

ce capital devint immé-

diatement produclifd’in

térêts élevés ; grâce au

monopole des transports

qu’on lui concéda sur

un espace de 150 ki-

lomèitres à droite et à

GARE DE MATACHIN. — DESSIN DE BOUDIER. , gauche, la Compagnie put établir et maintenir

destarifs exorbitants, La Ligne est, depuis les premiers (ravaux du canal, entre les mains de la Compagnie, de Panama qui a acquis 93 0/0 des actious, mais l’administration et l’exploitation sont restées américaines. Dans le compartiment je retrouve mes compagnons de paquebot ; presque tous vont s’embarquer à Panama