matin 25, un long cratère s’ouvrait à une altitude de 600 mètres dans la vallée de la Rivière Blanche au lieu dit de l’Étang-Sec ; ce cratère projetait avec un bruit énorme des cendres, de la vapeur, d’énormes fusées d’eau bouillante entremêlées de rochers. Les eaux de la Rivière Blanche augmentèrent de volume : elles étaient rouges et boueuses. Toutefois la population de Saint-Pierre n’était pas encore émue par le réveil du volcan. Elle croyait que les 7 kilomètres qui la séparaient des cratères la protégeaient suffisamment. On organisait même des excursions à la montagne Pelée pour voir de plus près l’émouvant spectacle.
Dans la journée du 2 mai, l’éruption entre dans une phase plus active. — Une violente pluie de cendres tombe sur les territoires du Prêcheur et de Sainte-Philomène, qui sont enveloppés d’épaisses fumées noirâtres. Des grondements semblables à ceux du tonnerre, de vives lueurs d’éclairs, jettent l’épouvante chez les habitants des hauteurs, qui ramassent ce qu’ils ont de plus précieux et se précipitent vers la ville où ils vont demander un refuge. À sept heures du soir, le veut du nord commence à souffler : les émanations du volcan se dirigent vers Saint-Pierre ; à une heure du matin, la pluie de cendres tombe dans les rues, sur les maisons, pénètre partout : l’affreux drame commence !
Quelques lettres emportées par le Saint-Germain, le dernier paquebot qui a quitté la Martinique avant la catastrophe, nous donneront une idée de la fermeté d’âme des pauvres habitants de Saint-Pierre à l’heure où le danger devint menaçant. Voici d’abord une lettre, celle d’une jeune fille, admirable de courage et de résignation devant la mort pressentie.
« Grand émoi général : nous sommes sous la cendre depuis cette nuit. Les détonations qui ont commencé, sourdement d’abord, s’accentuent depuis minuit. Le volcan fume de plus en plus ; on dirait d’un immense incendie, quelques-uns même ont vu les flammes. Cette nuit, le spectacle était beau, paraît-il, je regrette de n’en avoir pas joui ; ce n’est que ce matin, à une heure et demie, qu’attirée par l’odeur du soufre, je me suis approchée de la fenêtre. Malgré l’obscurité, je me suis rendu compte que la cendre avait tout envahi ; l’intérieur des appartements, les draps des lits en étaient couverts.
« Les habitants des hauteurs ont une frousse terrible, ils fuient avec un entrain admirable. Il paraît que cette nuit les Prêchotins {les habitants du Prêcheur), sont venus en grand nombre demander asile à l’église du Fort, à Saint-Pierre. Le lycée et le collège ont donné congé ce matin ; il paraît que de nombreux parents ont fait réclamer leurs enfants. Toutes les familles qui étaient à la campagne regagnent la ville pêle-mêle. La ville est d’une tristesse sans égale, revêtue ainsi de cet immense manteau gris ; tout est uniforme, les rues, nos maisons, les arbres, les chevaux, les voitures, nos vêtements, tout est poudré à blanc. Si cela augmente encore, nous ne pourrons peut-être plus respirer.