Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la brique pilée. Le tailleur, le maçon, le cultivateur, le forgeron, le tonnelier, le couvreur et le journalier menaient grand bruit avec leurs rôles du prince d’Hibernie, du roi de Bretagne, de l’intendant, du ménager, du grand juge, de l’évêque, de l’ange, de la sorcière. Le souffleur, un sculpteur sur pierre, commençait les tirades. L’acteur prenait le mot, comme un chanteur prend le ton du diapason, et il continuait, sur un verbe très haut et très monotone, qui donnait à ses paroles un son de mélopée et de complainte. Cela se passait en 1888, dans l’une de ces ruelles du Moyen Âge que j’ai dites, percées à flanc de coteau, à l’ombre du viaduc. Quelques années après, à Ploujean, ce fut la représentation en plein air, sur la place du petit village, le tréteau dressé contre la muraille de l’église, dans un paysage de lande fleurie, décor logique de la poésie primitive et de la gesticulation naïve de ces simples.

La distraction du soir, dans une ville comme Morlaix, ne peut pas être le théâtre. Les gens qui ont travaillé toute la journée se couchent de bonne heure, et il n’y a plus que quelques sabots attardés à traîner sur le pavé de la ville. La bourgeoisie et ce qui reste de l’aristocratie demeurent chez elles, ou dans les hôtels, à causer autour des tables du dîner, et la soirée souvent se termine au café. La gaieté de la ville a ainsi sa fin dans le choc des verres et le bruit des conversations.

LES ALBÂTRES DE L’ÉGLISE DE ROSCOFF : LA NATIVITÉ.

Les routes d’excursions ne manquent pas entre Morlaix et la mer. Le pays est un parc admirable avec ses allées, ses massifs, qui avoisinent quelque château : Kerozar, Kervolongar, Keranroux, Kervezec, le Nechoat, Coatserho. Voici, tout près de Morlaix, au carrefour de la Croix-Rouge, trois types d’habitation du pays : le château de Kerozar, vieille habitation restaurée ; la petite ferme de Langolvaz, tapie au haut d’un champ ; et la ferme qui a quelque apparence de manoir, Kermerhou, avec sa tourelle, son toit tombant, sa cour bordée de bâtiments, tout cela en un pays caché, mystérieux dédale de sentiers et de ruisseaux, avec des éclaircies de prairies et des couverts de vergers. C’est ainsi, dans tout le pays qui avoisine Garlan. Le paysage est de lignes plus nettes, d’arbres plus espacés, si l’on va vers la rivière, au Dourdu, ou si l’on se rapproche de la mer, dans la direction de Plougasnou. Mais il nous faut passer de l’autre côté de la rivière, vers Saint-Pol-de-Léon et Roscoff.

C’est de la mer qu’il faut regarder Saint-Pol-de-Léon, la « Ville Sainte ». Au sommet d’une longue ondulation de terrain, les clochers poussent dans la nue, ceux qui surmontent d’anciennes chapelles, les Minihys, Saint-Joseph, les Carmes, les Ursulines, les Minimes, les deux flèches de la cathédrale élevées sur des tours, la flèche du Creisker qui jaillit de quatre arcades soutenues par des piliers, d’un tel élan que Vauban disait qu’aucun monument ne lui semblait si beau et si hardi. Les toitures des maisons apparaissent basses entre ces jets de pierre, et l’ensemble forme une ligne grise de murs, de façades, de pignons, de tuiles, d’ardoises. Pénétrez en ville, c’est la même couleur, la même impression douce et sévère. L’herbe pousse entre les pavés des rues. On longe sans cesse des murs de couvents aux portes bien fermées, quadrillées de judas. Chaque maison privée participe de ce même caractère silencieux et discret. La population ne vit pas en dehors, comme la population de Morlaix, elle vit en dedans, abritée par ses lourdes portes, ses murs épais, confite en sa muette atmosphère.

Comment fut fondé Saint-Pol, l’histoire nous le fait savoir en nous montrant saint Pol-Aurélien venant de Grande-Bretagne à la tête d’une troupe d’émigrants, débarquant à Ouessant, puis touchant la terre continentale, cherchant un point des côtes où s’établir, découvrant enfin ici un château abandonné où il n’y avait de vivant qu’une laie allaitant ses petits, un taureau, un ours et des essaims d’abeilles. Ce fut ce qui décida de l’établissement d’un monastère. Les gens vinrent autour, les maisons se groupèrent. Pol-Aurélien se plaça sous la protection du roi de France, qui nomma son vassal évêque. Toutefois, si les monastères deviennent des centres de civilisation, les villes ainsi créées sur la côte sont des appâts pour les pirates de toutes nations, Normands et Danois. Saint-Pol est pris d’assaut en 875 et sa cathédrale dévastée.