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pour y installer la Bibliothèque municipale qui venait d’être fondée (1873), et une vaste salle y fut, en même temps, disposée pour servir de Musée. Celui-ci n’existait guère que de nom, quand quelques généreux donateurs offrirent plusieurs toiles auxquelles vinrent se joindre des dons de l’État. Ce fut à ce moment que la Société d’études scientifiques du Finistère demanda à installer ses collections dans le bas-côté de l’église, qu’elle répara de son mieux après entente avec la municipalité. » À ce moment aussi, par un legs de M. Ange de Guernisac, la ville se trouva mise en possession, pour son Musée, d’une somme de soixante mille francs. Vingt mille francs furent consacrés à l’installation définitive et quarante mille francs à des acquisitions. L’installation est absolument louable, tant pour les deux salles de tableaux et de dessins que pour la troisième salle, éclairée par la rosace, où sont réunies les collections scientifiques, que pour la basse-nef où sont placés les objets d’archéologie, les gravures, les statues et bas-reliefs. Pour les acquisitions, il y aurait autrement de réserves à faire. Que l’art et la science voisinent, d’accord. Ce qui ne devrait pas voisiner, c’est l’art et le non-art. Installer sur la même cimaise une œuvre significative et une œuvre médiocre, c’est troubler l’esprit de celui que l’on invite à regarder et à apprendre, c’est dénaturer et supprimer l’enseignement que l’on prétend instaurer. Les pierres d’une collection géologique, les ailes des papillons et les ailes des oiseaux, toutes les formes et toutes les couleurs de nature, peuvent cohabiter avec les œuvres d’art. Il y a, entre celles-ci et celles-là, comme une continuation de vision, une affirmation du lien qui unit le monde visible au monde invisible de l’esprit. Ce ne sont donc pas les mammifères, les ophidions, les sauriens, qui me choquent, — ce sont les œuvres, véritablement empaillées et mortes, et qui n’ont jamais vécu, dons de l’État, toiles, statues acquises au Salon, ou achetées par la municipalité, ou données par des particuliers. C’est contre ce fatras qu’un musée de province devrait se défendre. Ici, un dessin d’Ingres, portrait d’homme d’une merveilleuse acuité, une aquarelle de Bonington, un portrait de femme de Courbet, et la Déclaration, deux visages rapprochés dans la même fièvre tremblante et rose, délicieux tableau attribué à Fragonard et que l’on pourrait hardiment inscrire sous le nom du maître français, — cela est un peu perdu dans les deux cents numéros de peintures, dessins, aquarelles, gravures, et cela aurait pu être mis en honneur, espacé sur un panneau. On aurait placé à quelque distance les œuvres consciencieuses de peintres vivants, telles qu’il s’en trouve quelques-unes au musée, et ce serait tout, et ce serait bien suffisant.

On entend bien que je ne prends le musée de Morlaix que comme exemple, et que le mal est bien réparti sur toute la surface du territoire. Réduit à ses seules ressources, ce musée-ci vaudrait mieux. Il y a des morceaux de sculpture en bois, en pierre, infiniment intéressants, une vierge et un saint Jacques du xive siècle, des vis d’escalier, une cariatide, une pierre tombale de la fondatrice des Jacobins ; avec des moulages du Louvre, des gravures de la Chalcographie et les œuvres déjà citées, c’en était assez pour garnir une salle et ravir le passant, très marri au contraire de trouver trop de choses qui le font songer à un magasin de débarras où l’on envoie le trop-plein des achats officiels. Certes oui ! j’aime mieux les papillons de M. de Guernisac, et les oiseaux du docteur Chenantais, et ceux de M. de Lauzanne, et les coléoptères de M. Hervé, et l’herbier de M. Miciel, et même le canon du corsaire l’Alcide, coulé par les Anglais en 1747 dans la rade, et que l’on a retrouvé, encroûté d’une carapace de pierres et de coquillages, en 1879, après un séjour de cent trente-deux ans sous l’eau.

UNE JEUNE FILLE DE ROSCOFF.

Après le musée, le théâtre. Je ne parle pas de la salle ordinaire où passent les troupes en tournées qui font connaître à la province le succès parisien du jour. Mais à Morlaix même, et près de Morlaix, à Ploujean, il y a eu des tentatives de représentations bretonnes, celle du mystère : La vie de sainte Tryphine, par exemple, joué par des acteurs du canton de Plouaret. Les soldats d’Arthur de Bretagne étaient vêtus en pioupious. Sainte Tryphine était représentée par un grand gaillard, cordonnier de son état, qui arpentait la scène à longues enjambées, déclamait d’une voix rauque, et s’était fardé avec