Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pousser le cri d’une foule qui acclame ou qui hue. Ce sont les femmes de Morlaix, marchandes, acheteuses, ouvrières, qui vont à leur gain, à leurs provisions, à leur travail, ce sont surtout les filles de Morlaix qui vont prendre leur place d’habitude à la Manufacture des tabacs, quai de Léon. Descendez à leur bruit, mêlez-vous à elles, arrêtez-vous à la rivière pour les regarder venir et les regarder passer. C’est un spectacle qui dure longtemps, celui de cette arrivée, en robes noires, en châles noirs, en coiffes blanches, de ces travailleuses qui font songer, blanches et noires ainsi, à quelque passage de religieuses s’en allant à matines. Toute la ville paraît s’être mobilisée, il descend des coiffes et des sabots de toutes les pentes, il en sort de toutes les rues et de toutes les maisons. Les silhouettes viennent en files disparaître une à une par la grande porte de la Manufacture, comme des fourmis qui rentrent à la fourmilière. Car ce sont bien des fourmis, malgré tout, bien que des cigales imprévoyantes puissent se trouver parmi elles, ces sœurs bretonnes des cigarières de Séville, qui n’ont pas l’éclat et le geste en dehors des filles d’Espagne, mais qui ont le charme de leurs yeux passionnés et de leur souris malin sous leur coiffe monacale.

VIERGE DU XIVe SIÈCLE (MUSÉE DE MORLAIX.)

Lorsqu’elles sont toutes rentrées, on peut mieux circuler dans la ville qui n’en est pas morte pour cela. Morlaix est une ville de commerce, d’allées et de venues, même en dehors de la Foire Haute qui se tient en octobre à Saint-Nicolas, de la Foire Blanche qui se tient en mai au Marhalla, des douze foires annuelles ordinaires qui se tiennent à Saint-Nicolas, au Marhalla, à Saint-Martin. Il y a le marché du samedi qui se tient un peu partout ; le marché au beurre où les paysannes de Taulé, de Penzé, de Saint-Pol, de Saint-Sève, de Saint-Thégonnec (du côté de Léon), de Ploujeau, de Garlan, de Plouesohr, de Plouigneau (du côté de Tréguier), stationnent sur la Grand’Place ; le marché de poulets, de gibier, au Pavé, de la Grand’Place à la rue de Bourrette ; le marché aux légumes et aux fruits, place de Viarmes ; le marché au poisson, le long du lavoir ; le marché des grains, des farines et de la viande, à la Halle et autour de la Halle ; le marché des choux et des cochons de lait, place du Dossen ; le marché des oignons, des asperges, des choux-fleurs, des artichauts, vendus par les Roscovites place Saint-Dominique ; le marché du fil, rue au Fil ; le marché des cendres pour la lessive et des cendres de tourbe pour la terre, rue Haute. Oui, même en dehors de cela, Morlaix vit, par un mouvement qui peut diminuer, mais qui ne s’arrête pas, par un quelque chose d’indéfinissable qui est sur les physionomies, dans les voix, dans l’atmosphère. De toutes les hauteurs, on entend, les jours de foire et de marché, la rumeur et le bourdonnement des paroles, les jours ordinaires, un chuchotement ininterrompu. Le décor de ce bruit, c’est un amas de maisons qui descend les pentes à travers les jardins et qui vient se tasser au fond du val, c’est le confluent des deux rivières du Queffleut et du Jarlot qui forme le Dossen au pâté de maisons de la place Thiers, faisant au sud de la ville une sorte de fourche tordue dont la douille serait le Dossen. Celui-ci coule à découvert pendant une centaine de mètres, il est alors utilisé comme lavoir.

L’HOMME SAUVAGE (MUSÉE DE MORLAIX)

Sur la place Thiers, ancienne Grand’Place, au milieu des quinconces, un petit monument s’élève, à la mémoire du marin Charles Cornic-Duchêne, né en 1731, mort en 1809. Autrefois, la Grand’Place était bordée de maisons à arcades, et c’était, dans ces galeries à magasins, nommées les Lances, la promenade du soir et des jours de pluie. Des Lances, il ne reste rien que deux maisons au pied du viaduc, et c’est bien humble, bien triste, peu en rapport avec l’émerveillement qui est resté, à d’anciens habitants, de ces splendeurs du temps de leur jeunesse. Il y a mieux à Morlaix comme souvenirs du passé : il y a la rue de Bourrette, la rue des Nobles, la rue des Vignes, la rue au Fil, la venelle au Son, la venelle aux Pâtés, avec leurs pignons coiffés de travers, leurs façades garnies d’ardoises, leurs poutres apparentes, leurs chapiteaux sculptés ; il y a la Grand’Rue, qui va du Pavé aux Halles, et qui est bien