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préfère l’école buissonnière, bien nommée, au long des haies, au creux des chemins, la journée passée au bord d’une rivière, autour d’une flaque d’eau. Toute l’année, il a ainsi des raisons pour déserter le banc, le pupitre et le tableau noir. L’hiver, les routes sont mauvaises, — l’été, de mai à juillet, c’est le travail des champs, et la tentation de la liberté. Vers la fin des classes, les rangs se clairsèment de jour en jour. La dernière semaine, l’instituteur n’a plus que les élèves qui habitent tout près, ceux dont les parents sont en relations avec le maire et l’adjoint.

Ainsi, avec la meilleure volonté du monde, les dispositions législatives les plus consciencieusement prises, après des années de réflexions et de débats contradictoires, s’affaiblissent et se dissolvent lorsqu’elles arrivent à exécution, fragmentées, méconnues, inconnues, sur tant de points du territoire. Il y a forcément un écart entre l’esprit philosophique qui a inspiré cette législation et l’esprit traditionnel et passif d’une grande partie de la population régie par la loi, mais c’est pour diminuer cet écart que l’obligation avait été décrétée, que la loi s’emparait légitimement de l’intelligence de l’enfant.

Ce n’est pas que je croie à la vertu immédiate des livres. Loin de là. Il est bien impossible de remplacer du jour au lendemain, par le sortilège des grimoires, les conditions ordinaires de la vie léguées par tant de générations. Mais il faut prévoir les lenteurs, et il faut encore faire que l’instruction ne serve pas à dégoûter les nouveaux venus de la profession de leurs anciens, à les sortir de la voie où ils ont essayé leurs premiers pas. Ils n’auront pas amélioré leur sort, augmenté leur bonheur, parce qu’ils auront cessé d’être des ouvriers, des paysans, des pêcheurs, pour devenir des plumitifs, enfermés dans des bureaux, transplantés dans les villes. Au contraire, l’instruction qu’on leur donne devrait servir à les confirmer dans cette idée que leur développement intellectuel, moral et social, est possible et sûr dans la condition qui est celle de leur naissance. Ce qui devrait être montré aux enfants de l’école du village, c’est le rapport entre la nature qui les entoure et les livres mis entre leurs mains. Le champ, la rivière, la mer, sont d’admirables sujets d’étude, et je ne vois pas pourquoi, certains jours, l’instituteur lui-même, instruit pour ces leçons en plein air, ne ferait pas l’école buissonnière avec ses élèves.

LA PROCESSION DES MARINS À SAINT-JEAN-DU-DOIGT.

Voulez-vous, après l’école, savoir la bibliothèque d’un bourg de Bretagne ? C’est encore à Plougasnou que j’ai fait cette étude. Je parle de la bibliothèque réglementaire dont le dépôt est à l’école. Ici, l’école et la mairie sont réunies dans la même maison, et c’est l’institutrice, le maire, l’adjoint, qui ont la garde du catalogue et des volumes, la mission de prêter les livres et d’en surveiller la rentrée, Donc, cette bibliothèque existe, et c’est déjà beaucoup. Seulement, on ne lit pas les livres. On en demande un, çà et là, de temps en temps, mais il n’y a pas un lecteur qui ait épuisé la série, qui ait excité, par ses observations, par ses demandes, l’autorité municipale et l’autorité scolaire à former une bibliothèque plus définitive, à augmenter sans cesse le nombre des volumes, Cette augmentation serait facile. Il ne manque pas de livres souscrits au ministère de l’Instruction publique, de livres intéressants, pleins de faits, abondants en sujets de réflexions, suffisamment illustrés, et que l’on serait heureux d’expédier au bourg perdu qui manifesterait le désir d’en posséder quelques-uns. Quelle quantité doit se perdre de tout cet amas imprimé que le seul Paris fabrique chaque jour ! Quels prétextes à éclosions d’intelligences sont à jamais refusés aux intéressés ! Mais il faudrait le désir de lire, la curiosité éveillée. Les moyens de satisfaire cette curiosité existent, il faut les mettre en œuvre. Or, comment donner ce désir de lire à des enfants qui savent à peine lire, ou même qui ne savent pas lire du tout, comment le donner à ceux qui n’ont pas envie d’apprendre à lire, qui se refusent à l’école, qui s’égrènent au long des routes, lorsque sonne la cloche, ou restent chez eux, occupés aux travaux des champs ?