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boire en plein air, la coulée du cidre et de l’eau-de-vie, les rires des enfants, les chants des jeunes filles, les cris des estropiés. Le lendemain, tout est fini, tout le monde s’est dispersé. Et c’est délicieux, alors, de retrouver le calme du vallon, la fraîcheur de la mer, la paix du petit cimetière, et de regarder sur un vieux tableau de l’église une danse de Salomé, pendant qu’on entend au dehors l’égouttement de l’eau dans les trois bassins de la fontaine aux statues de plomb du Père Éternel avec ses anges. Cette danse de la cruelle fille, ce bruit de l’eau dans ce jardin des morts, un chuchotement de brise dans le feuillage, c’est assez, dans ce coin de Bretagne, pour évoquer l’Orient lointain et mystérieux et toute la sauvage histoire du Précurseur.

LES CALCULOS OU PERROQUETS DE MER.

Plougasnou touche Saint-Jean-du-Doigt, mais Saint-Jean est en bas, et Plougasnou est en haut, sur un plateau que soutient une solide armature de collines. Que l’on monte, soit par la plage, soit par un sentier qui part de l’église, soit par la route qui contourne la vallée, on arrive rapidement aux premières maisons de Plougasnou. Si l’on monte par le sentier de l’église et que l’on coupe à travers champs, on a une belle vue sur la mer, et l’on passe auprès d’un curieux oratoire où les sculptures ont une parenté d’art avec les œuvres d’Égypte et d’Assyrie. Cet oratoire est un but de prières pour les femmes stériles qui viennent s’agenouiller sur la dalle d’entrée, devant le petit autel et la fenêtre ovale par laquelle on aperçoit un menhir. Le bourg dépassé, c’est la belle route qui va à Trégastel et aux roches de Primel.

UNE VIEILLE FILEUSE.

C’est à Plougasnou, ayant fait, une année, la connaissance de l’instituteur, que j’ai pu connaître le fonctionnement d’une école de bourg et l’irrégularité de l’enseignement donné au village. Il faut bien dire que les choses, en juillet, se passent à peu près de la même façon que du temps où l’instruction n’était pas obligatoire. Je me souviens qu’à ce moment il n’y avait peut-être pas vingt élèves réunis autour de l’instituteur, alors qu’en réalité il aurait dû y en avoir cent trente ou cent cinquante. Il en est toujours de même, à Plougasnou et ailleurs, l’on peut le croire. Lorsqu’on envoie demander, le soir, chez les parents, pourquoi le petit n’est pas venu, une réponse d’utilité est le plus souvent faite. C’est pour la moisson. C’est pour mener la vache aux champs. C’est pour aller ramasser du goëmon sur la grève, etc. Parfois aussi, on l’a envoyé à l’école, mais il est resté en route, il est resté à courir les sentiers ou à explorer les rochers. À cela quoi d’étonnant ? Les études, pour des raisons quelconques, ont été interrompues, le goût que l’enfant a pu manifester tout d’abord s’est vite évaporé dans le grand air. Il trouve plus simple de faire exactement ce que font ses parents, sans y chercher tant de malice. Il ne fera ni pis ni mieux, il fera la même chose. Peut-être pourtant fera-t-il pis. Les ornières se creusent, les routines s’aggravent. L’enfant ne voit qu’une corvée, dans ces exercices de mémoire, de lecture, d’écriture, de calcul, auxquels on veut le forcer. Il ne sait pas, il ne peut pas savoir, qu’il lui serait possible de trouver là une direction d’esprit utile dans la plus humble pratique de la vie. Il fuit donc, autant qu’il peut, la rébarbative maison d’école. Il