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police du pays en faisant découvrir les voleurs : on place un morceau de pain sur l’eau, on pense un nom ; si le morceau de pain s’enfonce immédiatement, le voleur est trouvé. De là au bourg de Plestin, il n’y a qu’un pas, et dans le bourg de Plestin, il n’y a qu’une rue, mais jolie, souple, en amphithéâtre, serpentant à flanc de coteau au sommet d’un pli de terrain d’où l’on aperçoit, d’un côté, à 2 kilomètres, le port de Toul-an-Héry, Locquirec, la mer, et de l’autre côté, à perte de vue, la campagne verdoyante. Le patron, ici, est saint Gestin, qui trouva, revenant de Rome, saint Efflam installé chez lui. Les deux saints firent bon ménage, et même saint Efflam est enterré dans l’église, probablement avec saint Gestin, quoique celui-ci n’ait pas, comme son Compagnon, sa statue gisante et son inscription.

ÉGLISE DE PERROS-GUIREC.

De Plestin, la promenade est charmante pour remonter à Locquirec, village haut perché sur la falaise. De Locquirec à Lanmeur, on va vers une plaine triste et douce en passant par Guimaëc, longeant une ferme proche le dolmen de la Fileuse. Le vieux bourg de Lanmeur, sur l’ancienne route de Lannion à Morlaix, est bâti à la place d’une ancienne ville celtique, Kerfeuntceun, détruite par les Normands. L’aspect est paisible, régulier, on sent l’existence des gens fixée aux mêmes occupations, ne se récréant que du jour du marché et du jour des offices. Ces apparences ne signifient rien, je le sais. Combien de fois j’ai eu cette pensée en traversant ces petites villes mortes, ces bourgs somnolents, que sûrement il se jouait des drames concentrés, d’une force extraordinaire, à l’abri de l’une de ces façades impassibles, au fond de l’une de ces boutiques où rien ne bouge, derrière cette vitre où le rideau s’est écarté un instant, montrant une main, un profil, un regard. Drames ignorés, perdus, où les acteurs ne jouent que pour eux-mêmes. Je ne vous les raconterai pas, ni ceux de Lanmeur, ni ceux d’ailleurs. Je ne vous raconterai que le drame de Lanmeur qui est connu, enregistré par l’Histoire, qui étoile de sang les pierres anciennes, et fait entendre je ne sais quel sourd gémissement dans le silence. Il est bien vieux, ce drame, il est de 749, alors que la ville fut fondée par un prince de Cornouaille, Méloir, neveu du tyran Rivod. L’oncle un jour fondit sur le neveu, lui fit couper un pied et un poignet pour l’empêcher de monter à cheval et de porter l’épée. Méloir mourut, Rivod s’empara de sa ville qui a gardé en une sculpture usée le souvenir du mutilé, dont l’Église a fait un saint. Voilà le souvenir du passé, voici la prédiction pour l’avenir. Sous l’église, une crypte romane à l’entrée étroite, aux voûtes trapues, le bruit de l’eau qui tombe goutte à goutte. C’est une fontaine dont les eaux doivent un jour grossir, déborder, envahir l’église, emporter tout, le monument, l’officiant et les fidèles, et cela se passera un dimanche de la Trinité. Aussi, chaque année, ce jour de la Trinité, on dit la messe un peu plus loin, dans la chapelle de Kernitron, et l’église de Lanmeur reste seule, silencieuse, déserte, écoutant pleurer sa fontaine.

Après l’avoir écoutée, moi aussi, j’ai repris le chemin des landes vers Saint-Jean-du-Doigt, « San-Ian-ar-Bis », qui se dispute, dit-on, avec Malte l’honneur de posséder « le doigt » de saint Jean. Je crois que le bourg breton et l’ancienne basilique des Frères hospitaliers pourraient se mettre d’accord pour posséder deux doigts différents de saint Jean. En attendant, le précurseur de Jésus est ici le grand patron, célèbre et choyé ; le pardon du 24 juin est une des plus grandes fêtes populaires de la Bretagne et aussi l’un des plus désolants spectacles de la misère humaine.

NOTRE-DAME-DE-LA-CLARTÉ.

Le site est délicieux, un vallon entre les collines d’où l’on descend de Kerellou, et les collines par lesquelles on monte vers Plougasnou. Ce vallon, qui vient doucement rejoindre la plage dont il n’est séparé que par une levée de galets, est sillonné d’un ruisseau qui va se perdre dans le sable et la mer. C’est dire que tout ici est verdoyant et fleuri, que partout courent les ruisselets bordés de cresson, s’étalent grassement les pâturages, se forment les mares bordées d’iris. Un air humide flotte naturellement sur cette terre fertile, une brume légère, propice aux contes de fées, aux apparitions de mauvaises lavandières qui forcent les imprudents égarés autour de