LA BRETAGNE[1]
PREMIÈRE PARTIE : LA BRETAGNE DU NORD
IV. — Le Pays de Tréguier (suite).
uand on aperçoit Ploumanach pour la première fois, du sommet de la
Clarté, on se demande si l’on rêve tout éveillé, si l’on n’a pas été subitement
transporté dans quelque région fantastique. C’est la féerie de la
pierre, toute une région hérissée de blocs rougeâtres qui ont les formes
les plus inattendues, une population d’animaux géants, de monstres,
d’êtres humains, qui auraient été tout à coup pétrifiés et qui seraient
restés ainsi depuis des siècles, fixés dans leur contorsion suprême.
J’aperçus ce troupeau immobile au crépuscule. On distinguait à peine les maisons accotées à ces blocs, des maisons basses de la même couleur que le rocher. Toute l’étendue était sillonnée, trouée par des entrées de mer où l’eau d’un bleu verdâtre reflétait les lueurs orangées du couchant. Les monstres de pierre semblaient au repos autour de ces cabanes, de ces mares, dans la torpeur de cette fin de journée. Par-dessus la côte déchiquetée, le ciel et la mer commençaient à se confondre. Je me précipitai dans ce dédale inouï de ruelles rocheuses, fis le tour des blocs prodigieux, ce soir-là, le lendemain, et tous les jours que je restai à Ploumanach. La forte impression ressentie tout d’abord n’était en rien diminuée, C’était sans cesse le surgissement formidable, parfois comique, des
- ↑ Suite. Voyez pages 217, 229, 241, 253 et 265.