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de la Pompe, avec ses nymphes et sa Vierge, construite par le comte Pierre de Guingamp, refaite en 1743, et qui est alimentée par un aqueduc venant de la route de Paimpol. Le reste, c’est l’Hôtel-Dieu, fondé par Charles de Blois, agrandi par Louis-Philippe, qui s’y était réservé deux lits, puis beaucoup de murailles, derrière lesquelles il y a des couvents. Toute cette ville paisible, endormie, est en mouvement le premier dimanche de juillet, époque du pardon et pèlerinage de Bon-Secours. Alors, les pèlerins se répandent par les rues, on habille la Vierge qui domine les trois bassins de la fontaine où les croyants viennent puiser l’eau consacrée. Le soir, à la tombée de la nuit, on danse au son du biniou, jusqu’à neuf heures, moment où la procession se forme. On allume des feux de joie sur la place de la Pompe, et lorsque la procession se disperse, la fête recommence jusqu’à minuit. Elle se termine par une messe qui clôt le pardon, vers une heure du matin. De sorte que Guingamp est une ville où il y a deux messes de minuit par an.

Aux environs de Guingamp, les buts de promenade ne manquent pas. C’est Sainte-Croix, une ancienne abbaye convertie en ferme. C’est la chapelle de Notre-Dame-des-Grâces, qui a conservé son architecture gothique fleurie et dont l’intérieur est égayé de sculptures grotesques. C’est l’exquis château de Carnabat : je n’ai pas vu l’intérieur, fermé le jour de ma visite, et qui renferme, dit-on, de beaux portraits du xviie et du xviiie siècles, mais je me suis promené toute une après-midi dans les jardins et le parc, dessinés par Le Nôtre, et j’ai gardé le souvenir admiratif de ce paysage d’artiste qui encadre de ses parterres, de ses charmilles, de ses terrasses, la construction blanche et basse. Vers Toul-Goulée, s’amoncelle un amas de roches branlantes, un belvédère s’élève d’où l’on découvre le magnifique moutonnement de verdure des campagnes. À Saint-Léonard, au mois de mai de chaque année, les malades vont recueillir sur les pierres du Calvaire des limaces auxquelles ils attribuent de spéciales vertus curatives.

De Guingamp, je reviens sur mes pas pour visiter Châtelaudren. Ainsi le veulent les hasards et les obligations du voyage. Châtelaudren est célèbre par ses reinettes, ses légumes, la coiffe de ses femmes en forme de casque indien, et par ses bestiaux. Ces bestiaux produisent une quantité d’engrais telle que l’on se heurte, à chaque pas, dans le bourg même, à des tas de fumier, ce qui n’est pas excusable, quoiqu’il faille meubler la terre qui produit de si bons légumes et de si délicates reinettes. J’aurai tout dit de l’industrie de Châtelaudren, lorsque j’aurai ajouté qu’il y existe une fabrique de chapeaux de feutre vendus en gros et en détail. Ce que la petite ville possède encore, c’est, sur l’emplacement d’un ancien château, au bord de l’étang, une jolie promenade plantée de grands arbres et bordée d’une terrasse d’où la vue parcourt une campagne coquette et riche. Le juge de paix de Châtelaudren, M. Scolan, homme aimable et érudit, m’a accompagné à travers les rues et m’a raconté le fameux événement de 1773, l’inondation de Châtelaudren. Il m’a communiqué au surplus le récit d’un témoin oculaire, Françoise Nabucez, qui est très précis et très émouvant :

MAISON NATALE DE RENAN À TRÉGUIER.

« Le 18 août 1773, la chaussée de l’étang fut emportée par la force des eaux. Il était alors entre minuit et une heure du matin. Quoique la pluie n’ait tombé que fort lentement pendant l’espace de six heures, l’eau cependant augmenta tellement, que le jour même mon père me porta hors la ville, dans la rue Bertho. À cette époque, j’avais douze ans. L’eau paraissait jaillir du sein de la terre, en plus grande quantité que celle qui tombait du ciel. — Le lendemain, l’eau atteignit le premier étage des maisons de la place ; toutes les maisons qui séparaient jadis cette place en deux parties furent enlevées par la force du courant. — Je me souviens parfaitement qu’une voiture de roulage, pesant plus de 6 000 kilos, séjournant près de l’hôtel actuel de l’Écu, fut transportée dans les Lingoguets, à plus de 800 mètres de là. — Chose surprenante : un homme, se débattant dans les flots, s’accrocha par hasard aux cordages de cette voiture, y resta cramponné pendant quarante-huit heures et fut heureusement ravi à la fureur de l’élément. — Le lendemain et jours suivants, l’eau ne diminuant pas, les morts flottant çà et là ne purent être recueillis que huit ou dix jours après. — Vingt-deux jours s’étaient écoulés, et des ca-