Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pédales dont le jeu, combiné avec celui des navettes, forme la trame. Et ce travail de tissage exige des opérations préalables : le mot bobinage indique assez l’enroulement des fils autour des écheveaux ; l’ourdissage a pour but d’assembler parallèlement les uns aux autres les fils de la trame ; le parage, c’est enduire les fils d’une sorte d’onguent pour diminuer l’usure du frottement ; enfin le mouillage, employé à certaines époques, pendant les chaleurs, rend le tissu plus serré. Ce mode de fabrication n’est plus guère en usage : cependant il est préféré d’un grand nombre de gens qui reconnaissent à ces toiles, faites de main d’ouvrier, des qualités que ne possèdent pas les produits du précis et utile outillage moderne.

Lamballe abrite d’autres industries : la tannerie, la mégisserie ; on y fabrique des chapeaux, des étoffes de serge. À quelques kilomètres, des ateliers de poterie. Il s’y fait, par contre, une terrible consommation d’eau-de-vie. Dans tous les débits, qui foisonnent, des tonneaux qui ne sont pas des simulacres, comme il arrive parfois, sont à peine en chantier qu’ils sont déjà vidés. Dans une boutique où l’on vend de tout, et où j’entre acheter des tasses, la petite fille qui me sert et que j’interroge, en mon désœuvrement de neuf heures du soir, me raconte orgueilleusement que l’on vend, chez elle, plus d’une barrique par semaine.

Je vais, à pied, de Lamballe à Yffiniac, en suivant la grande route. Yffiniac est l’endroit de cette côte où la mer pénètre le plus profondément dans les terres. On croit qu’il y avait là un port au temps des Romains : on en donne pour preuves des anneaux et des crochets de fer retrouvés en terre et qui pouvaient servir à amarrer les câbles des bateaux. Sur les rives de l’Urne, sont aussi des traces d’une ancienne cité détruite par les Normands. Aujourd’hui, on confectionne paisiblement, à Yffiniac, un gâteau nommé « chocars », où la pâte est mélangée à des pommes, d’une certaine manière traditionnelle. Les chevaux d’Yffiniac sont moins estimés que ses gâteaux : les mauvais plaisants les évaluent à trois francs la pièce. Mais il y a mieux à Yffiniac, et plus loin encore : c’est la vue sur la baie. Depuis le cap Fréhel et le port d’Erquy, jusqu’à Binic et Portrieux, la rade de Saint-Brieuc forme un magnifique arc de cercle, avec deux anses profondes creusées, l’une par l’embouchure du Gouesnon, l’autre par l’embouchure de l’Urne. Sur toute la côte, ce sont des vestiges de la domination romaine, des voies, des camps, des murailles. La grève de Guen est plantée de sapins, reste probable des forêts qui, jadis, couvraient tout ce pays. Aux hôpitaux, les ruines d’une commanderie des Templiers et du château de Beaumont. À Saint-Sépulcre, l’ancien cimetière des lépreux. Plus loin, vers Saint-Brieuc, le château de Saint-Flan transformé en colonie agricole de jeunes détenus dirigée par des religieux de l’ordre de Saint-François. La chapelle de Saint-Ilan renferme le corps de saint Léhon donné au châtelain par le Pape qui retrouva le squelette dans les catacombes de Rome. Pour être complet, j’ajoute que le fromage de Saint-Ilan est célèbre dans la région, et que le pays, de pur et doux climat, est d’une extrême fertilité.

Tous ces chemins me mènent à Saint-Brieuc, ville grise et rose, de pierres et de briques, assez calme, assez triste, mais néanmoins plaisante. Elle est bien bâtie d’abord, escaladant deux collines entre lesquelles coule le Gouët, couvrant l’emplacement d’une forêt qui était le domaine de l’un des sept peuples de l’Armorique. Chacun de ces peuples avait ses lois, ses coutumes, son armée, ses chefs, et tous étaient unis pour le but commun : la défense et la conquête. Souvent victorieux, quelquefois vaincus, ils s’entendaient toujours pour partager le butin, et en cas de malchance, pour secouer le joug. Tels étaient les Curiosolites, fondateurs de Saint-Brieuc. Vers l’an 449, les insulaires britanniques vinrent aider les Armoricains à mettre en fuite les Danois ravageurs de côtes, et ces alliés fondèrent le royaume de Domnonée, qui dura jusqu’à l’entrée en scène de Noménoë, et qui fut gouverné par Kirval, lequel fit don de son palais de bois et de son pouvoir au moine Brieuc, fondateur d’un monastère autour duquel se groupa la ville.

PORTAIL ROMAN À LAMBALLE.

L’histoire de Saint-Brieuc se rattache à l’histoire générale de la Bretagne. La ville n’a guère été, jusqu’à la Révolution, qu’une ville épiscopale. On peut toutefois rassembler quelques épisodes qui lui sont particuliers. La ville est prise d’assaut, en 1374, par les Anglais. En 1394, Olivier de Clisson et ses gendres, le comte de Penthièvre et le vicomte de Rohan, s’en emparent et la pillent. Il en est de même, en 1592, par le fait d’une armée composée de lansquenets allemands, de Lorrains et d’Espagnols. La peste ravage la population en 1601 et 1735. L’octroi est institué en 1618, le produit doit être employé aux réparations de la Maison de ville. Les fortifications sont commencées en 1628, achevées dix ans plus tard, démolies en 1788, et ce qu’il en reste à cette époque est adjugé pour 3 000 francs à un sieur Thierry. En 1696, la culture maraîchère a déjà fait de si grands progrès et produit des