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instant un enfant qui pleure dans une maison à porche. Puis, plus rien. Il n’y a pas un réverbère : tous sont retirés sitôt l’hiver fini. Les maisons ont le pied dans l’ombre et sont coiffées de nuit. Bonsoir.

Le caractère de la ville était encore plus marqué il y a trente ou quarante ans. Tous les rez-de-chaussée étaient alors en retrait du premier étage, on pouvait circuler tout le long de la rue sans quitter les porches qui formaient un couloir d’arcades. Mais les ouvertures ont été maçonnées au devant de beaucoup de maisons, des boutiques se sont avancées jusqu’à la rue. Les archéologues, les artistes, les historiens peuvent regretter ces transformations de la vieille ville perdue au milieu du Marais : on ne saurait tout de même reprocher à ceux qui vivaient dans l’ombre de vouloir respirer à l’aise. Puisque la loi permet de classer une rue comme une cathédrale ou un hôtel de ville, qu’on se hâte seulement de conserver ce qui subsiste de Dol. La vie du passé est là mieux prise sur le fait, plus compréhensible que dans la grande salle d’un château ou la nef d’une église. Nulle part les dessous, l’existence familière du Moyen Âge et de la Renaissance n’apparaissent comme dans ces deux rues extraordinaires des deux vieilles villes bretonnes : la Grand’Rue de Dol, la rue du Jerzual à Dinan.

UNE MARCHANDE DE « SOUVENIRS » EN COQUILLAGES À CANCALE.

De Dol, je suis allé rejoindre à nouveau le Vivier-sur-Mer pour suivre, de là, la route qui longe la côte jusqu’à Saint-Benoît-des-Ondes, par Hirel et Vilde-la-Marine, et atteindre Cancale. Le trajet est d’environ 30 kilomètres, mais on y jouit presque constamment de la vue de la mer et de la senteur de l’iode, et c’est une raison suffisante pour le préférer à tout autre.

Cancale a remplacé une petite ville du nom de Porspican qui fut la proie des flots. Elle est bâtie au sommet d’un des arcs de cercle qui forment la baie, à l’ouest de celle-ci. C’était, au xie siècle, une dépendance de l’abbaye du Mont Saint-Michel. Elle fut pillée en 1758 par les Anglais, et bombardée, toujours par les Anglais, en 1779.

Lorsqu’on débouche sur le quai de la Houle, ce qu’on voit ressemble peu à ce qu’on croit être venu voir. Après avoir traversé les champs, marché au long des jardins qui toujours vous arrêtent et vous prennent par leur charme d’intimité, descendu la Grand’Rue, on se trouve au milieu du village des pêcheurs, devant les maisons à grands toits, à petites fenêtres qui regardent la mer. Au moment où j’arrive, le port est à sec, les centaines de bateaux droits sur leurs quilles ou couchés sur le côté. L’un d’eux est resté en suspens sur la pente de la jetée, et il restera là jusqu’au retour du flot qui s’en va encore, lentement, découvrant peu à peu les parcs d’huîtres, réguliers, entourés de piquets. C’est l’heure où tout le village descend sur la plage, entre dans les sentiers, s’en va au loin chercher les huîtres, les trier, les laver pour les marchands. Voici les premières femmes qui arrivent, qui descendent l’escalier, près de la tourelle du feu. En voici d’autres, puis