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plus inconsciente, mais active, ingénieuse, qui est venue aider la terre à résister. C’est la force de l’homme. L’homme et la terre sont deux alliés. Celle-ci s’est soumise après avoir été conquise. Elle fournit maintenant à son maître l’abri, le vêtement, la nourriture. Elle lui donne la pierre, le métal, le charbon, le tissu, depuis l’humble droguet jusqu’à la soie fastueuse. Elle lui donne tous les métaux, l’or, l’argent, le fer, le cuivre, le platine. Elle lui donne le bois dont il charpente ses maisons, dont il se meuble, dont il se chauffe. Elle lui donne tout, enfin, le nécessaire et le superflu, l’aisance et la richesse. La terre est asservie à l’homme. Seule, l’eau, l’eau de la mer ne se laisse conquérir que pour recommencer son éternelle révolte. Le génie de l’homme ne l’a soumise encore que partiellement. Le mauvais temps se rit des pilotes, et la tempête engloutit ses proies. La mer consent à servir le roi du monde dans une certaine mesure, se refuse à l’assujettissement total, à l’esclavage complet. Toutefois, si l’homme est impuissant à vaincre définitivement son ennemie, il a su, çà et là, défendre la terre et se défendre avec elle de l’envahissement brutal. Sans doute, le flot s’épuise, perd de sa force, n’a plus assez de vigueur pour envahir de nouveaux continents, ni pour ronger, rogner davantage les terres anciennes. Mais le travail de l’homme est bien ici pour quelque chose, les digues qu’il a élevées, les quais qu’il a empierrés sont des barrières solides, des frontières fortifiées élevées contre le flot.

On ne saurait mieux se faire une idée de ces victoires remportées sur la mer qu’en faisant une entrée en Bretagne par le sud de la baie du Mont-Saint-Michel, au petit port du Vivier, près de l’embouchure du Guioult. Presque tout de suite on pénètre au marais de Dol qui est une conquête, ou plutôt une reprise de la terre sur la mer, effectuée avec la complicité de l’homme.

Cette vaste plaine marécageuse de quinze mille hectares était autrefois occupée par la forêt de Scilly, que la mer engloutit d’un seul coup de gueule, entre le vie et le ixe siècle, dit-on sans précision. Plusieurs centaines d’années s’écoulent avant qu’on songe à reprendre son larcin à la voleuse. C’est au xiie siècle que sont entrepris les travaux de la digue. Le marais de Dol fut ainsi créé ; il va se desséchant lentement d’année en année. Il est une source de richesses, non seulement par sa fertilité, mais par les arbres entiers que l’on en retire, la sève noyée, injectés d’eau, et qui, revenus à l’air, se durcissent incroyablement, acquièrent une force de résistance extraordinaire et deviennent noirs comme de l’ébène. On en fait des plateaux, des planches, utilisés pour les travaux de charpente, de menuiserie, d’ébénisterie, de marqueterie, suivant la dimension des arbres et la régularité des billes.

CATHÉDRALE DE DOL.

Au milieu de ce marais, une éminence granitique de 65 mètres, au sommet de laquelle est bâti le village de Mont-Dol. Cette montagne, d’où l’on découvre un vaste horizon de terre et de mer, avait été consacrée par les Druides. On y voit maintenant une statue de la Vierge sur une tour. Deux moulins à vent tournent leurs ailes géantes dans le voisinage d’une fontaine que les plus grosses chaleurs ne parviennent pas à tarir, et l’on montre sur le rocher une excavation commentée par deux légendes : selon l’une, ce serait l’empreinte du pied de l’archange saint Michel prenant son élan pour franchir d’un bond l’espace qui sépare le Mont Dol du Mont Saint-Michel ; selon l’autre, ce serait le creux du pied du Diable. Je renonce modestement à me prononcer entre ces deux versions.

Non loin est la ville de Dol, créée par une colonie de Bretons venus d’Irlande, amenée par saint Samson. Un ange était apparu à celui-ci et lui avait dit : « Tu prendras la mer ; où tu débarqueras, tu trouveras un puits comblé. Auprès de ce puits, tu élèveras une église autour de laquelle seront groupées des maisons qui formeront une ville dont tu seras évêque. » Samson débarqua, et il fit comme l’ange avait dit. De façon plus certaine, on sait que Noménoë fut couronné ici au ixe siècle ; que les Normands y firent plusieurs incursions et chaque fois saccagèrent la ville ; qu’au xie siècle, Dol devint le chef-lieu d’un comté