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une petite bonne toute menue qui n’a qu’un soupçon de nez au milieu de son petit visage rond, et qu’un commis voyageur facétieux désigne sous le nom de « Nez en moins ». La petite bonne nous sert, malgré cette plaisanterie inférieure, un repas délicieux, et elle s’en va, tout enorgueillie de plaisir, lorsqu’elle est chargée de compliments pour sa patronne. Le vin, surtout, est délicieux, et ce n’est pas la seule fois que j’aurai à remarquer la qualité des crus que possède la Bretagne. Si le raisin, chez elle, ne mûrit guère, le vin s’y bonifie.


Rennes, c’est la capitale. Un grand Versailles sans Versailles, c’est-à-dire sans le Château et le Parc, mais il y a les vastes avenues, les rues droites, l’herbe entre les pavés, et cette couleur grise de temps passé qui revêt toutes choses de sa mélancolie solennelle. Oui, quand on entre à Rennes après avoir traversé les campagnes resplendissantes des environs, c’est la même sensation qu’on éprouve en pénétrant à Versailles par les bois de Chaville et de Viroflay. À Rennes, comme à Versailles, les rues sont larges, les passants rares. C’est à peine si la vie s’anime sur les quais de la Vilaine, qui traverse la ville de l’est à l’ouest, endiguée par les murailles des quais surmontées de balustrades de fer. Ces murs se continuent, vers la droite, le long du canal d’Ille-et-Rance, et vers la gauche en suivant le cours de la Vilaine jusqu’au delà du coude des Abattoirs. De belles constructions s’étendent de chaque côté de l’eau, mais la ville est surtout bâtie sur la rive droite. C’est là que se trouvent les sièges de tous les organismes sociaux : la Préfecture, le Palais de Justice, l’Archevêché, le Théâtre, l’École d’Artillerie, l’Hôtel-Dieu, la Cathédrale, et la plupart des autres églises. La rive gauche est, comme à Paris, un quartier latin, le quartier des Écoles, et l’on y trouve, avec le Lycée et le Musée, l’Hôtel des Postes et Télégraphes, l’Arsenal, le Champ de Mars, les Casernes. Des quartiers neufs se développent du côté du Jardin des Plantes. Dans sa plus grande largeur, du bout de la rue de Nantes à l’extrémité de la rue de Saint-Malo, la traversée de Rennes est de 2 kilomètres environ.

SAINTE ANNE. STATUETTE DE BOIS SCULPTÉ. MUSÉE DE RENNES.

Les deux rives de la Vilaine se joignent par quatre ponts. Le quartier de la rive droite s’appelle la Ville-Haute. Le caractère de l’architecture de Rennes est de la seconde moitié du xviiie siècle. Tout ce quartier de la rive droite a été reconstruit en effet après 1720, date du grand incendie qui dévora la cité. Sans cet incendie, Rennes serait une très vieille ville. Le feu prit dans une poignée de copeaux, chez un menuisier. Il dura sept jours et dévora la Ville-Haute, ne s’arrêta qu’au bord de la Vilaine. Toutes les maisons étaient alors construites en bois, et toutes les rues étaient étroites. La première nuit de l’incendie, la cloche de la Tour Saint-James tomba avec toute sa charpente, en un fracas épouvantable. Les titres qui se trouvaient en dépôt chez les notaires, juges, avoués, procureurs, les archives, l’argenterie, les valeurs, les bijoux, l’argent monnayé, tout fut réduit en cendres ou en lingots informes. Les quartiers détruits furent rebâtis sur les plans de l’ingénieur Robelin, approuvés par les Conseils du roi. Ce fut ainsi que l’on obtint cet ensemble de maisons régulières, d’un modèle à peu près uniforme. La couleur est sombre, la cité est triste, mais la vue des quelques parties conservées de l’ancienne ville, rues mal pavées, tortueuses, sales, mal éclairées, bâtisses branlantes et déplorables, fait paraître superbe la ville grise et monotone née des cendres de 1720.

Il y a d’ailleurs à Rennes des édifices beaux ou intéressants à un titre quelconque. Il convient de les énumérer.

À tout seigneur, tout honneur : d’abord l’Hôtel de Ville. Installé dans l’une des tours de la porte Mordelaise, le corps municipal tint, à partir de 1482, ses délibérations dans une maison qui servit également à loger les écoles, et qui était bâtie sur un terrain situé entre la porte Mordelaise et la chapelle Notre-Dame de la Cité. L’édifice, agrandi en 1494, en 1503, rebâti en 1694, fut finalement reconstruit après l’incendie de 1720 sur l’emplacement actuel d’après le plan de Gabriel. La première pierre fut posée en 1732, par M. de Voloire, procurataire de M. le comte de Toulouse, gouverneur général. Le charmant édifice, surmonté d’un beffroi recouvert d’un dôme de plomb, fait bon accueil par son péristyle à colonnade de marbre rouge, son grand vestibule, l’escalier de nobles proportions qui conduit à la salle des fêtes. Les services sont installés aux différents étages, ainsi que la Bibliothèque publique, à laquelle on accède par la rue de l’Horloge. Les caves voûtées servaient de cuisines et d’offices aux jours des grands repas municipaux. Au-dessous de ces caves, il y en avait encore sept autres destinées au logement des officiers.

J’ai parlé de la Porte Mordelaise. C’est un vestige du Moyen Âge, un fragment des derniers remparts dont la ville fut entourée. Les premières fortifications avaient été démolies en 850 par Noménoë, rebâties et